Violences en marge du FSM : l’autre visage du Sénégal

Journaliste en formation et contributrice du blog de Politis.fr sur le Forum social de Dakar, Céline Trégon a été victime, avec beaucoup d’autres, d’une interpellation musclée dans la capitale sénégalaise le 8 février. Témoignage.

Politis.fr  • 21 février 2011 abonné·es
Violences en marge du FSM : l’autre visage du Sénégal

C’est à la marge du Forum social mondial que l’Etat sénégalais montre son vrai visage, celui de la violence gratuite et intolérable. Les opposants au régime du « maître Abdoulaye Wade » n’ont pas leur place en terre sénégalaise. Ou seulement entourés de murs épais et de militaires féroces.

Tout commence par une volonté commune de la société civile de protester contre les conditions de détention lamentables dans les prisons sénégalaises. Appelée par des anonymes du FSM, auxquels se sont rajoutés des membres des Sans Voix, du Droit au logement et des électrons libres du Mali ou de France, la manifestation a lieu devant la prison Rebeuss de sinistre réputation, située en plein centre ville. Nous sommes une quarantaine en cette fin d’après-midi du 8 février. La moitié est européenne, l’autre moitié parle peu le wolof. Le message passe malheureusement assez mal auprès de la population locale, visiblement très circonspecte. Un cortège inhabituel et une peur de la répression nous isolent tout de suite des autochtones. Nous n’avons d’ailleurs que quelques minutes pour le réaliser.

Un militaire sort de la prison et nous ordonne de partir sur-le-champ. « Vous n’avez pas le droit de manifester devant la prison. Partez tout de suite » . Deux minutes après, nous comprenons le sens du mot « tout de suite ». Une rangée de militaires sort à toute vitesse de la prison, des matraques dans les mains, prêts à nous réduire en miettes. La première rangée de manifestants tombe sous les coups et entraîne dans sa chute la seconde rangée. Un mouvement de recul nous permet de voir l’innommable : les militaires continuent à frapper les manifestants encore conscients à terre. La barbarie a un visage palpable.

Que faut-il faire si ce n’est fuir ce massacre ? Nous courons pendant plusieurs minutes, essayant d’échapper aux militaires armés de matraques ensanglantées ou de kalachnikov dernier modèle. Le sentiment d’être pourchassé par un homme armé est un sentiment ambivalent : il vous pousse à courir plus vite mais la peur de prendre une balle dans la tête si vous leur échappez vous empêche de vous enfuir véritablement. Les Européens sont séparés des Maliens dès leur interpellation. Dans la prison, nous sommes alignés, accroupis par terre, les mains derrière la tête. Des insultes et puis la fouille. Ils vérifient les enregistrements. J’ai la mauvaise idée de signifier à l’un des geôliers ma qualité de journaliste. Ce que je n’ai su qu’après, c’est la violence qu’ont subi les Maliens pendant leur fouille, isolés de nous.

Nous sommes ensuite transportés dans un fourgon vers une annexe de la prison. Dans une pièce glauque, assis les uns à côté des autres dans un silence de plomb, sachant que personne ne dénoncera personne, nous refaisons dans nos têtes le cheminement des évènements. Comment aurais-je dû réagir ? Pourquoi n’ai-je pas tourné à gauche plutôt qu’à droite ? Comment manifestent les Dakarois ? De quelles libertés disposent-ils ? Souffrent-ils beaucoup de la répression ? Meurent-ils en prison ? Combien de jours vont-ils nous jeter en cellule ? Vont-ils nous torturer ? Vont-ils nous violer ? Peut-être que ce sont des questions absurdes mais ce sont des questions auxquelles on pense dans ce cas-là, immanquablement.

Une vingtaine de minutes plus tard, le chef de la prison entre pour nous conter les vertus de la prison, la présence de dangereux criminels en son sein, des conditions de détention non discutables et de notre ingérence insupportable dans ce qui est pour lui un symbole national. Peut-être que le fait que l’Ambassade me cherche en prison a eu une incidence, ou pas. Nous sommes tous libérés pour éviter toute mauvaise publicité au président Wade pendant le Forum social mondial. Les droits élémentaires n’ont pas de frontières ; nous ne regrettons rien.

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