Fukushima : chronique d’une catastrophe annoncée

Depuis 2003, le nucléaire nippon a minimisé les risques, malgré les avertissements. La Tepco, exploitant privé de Fukushima, est dans le collimateur, tout comme les autorités.

Claude-Marie Vadrot  • 24 mars 2011 abonné·es

La révélation ne constituera pas une surprise pour ceux qui suivent l’actualité nucléaire au Japon : dans un rapport daté du 28 février, soit dix jours avant le séisme, la Tokyo Electric Power (Tepco), exploitant privé de la centrale de Fukushima Daiichi, signale à l’agence japonaise de sûreté nucléaire, la Nisa, qu’elle n’a pas effectué les contrôles prévus sur plusieurs éléments de la centrale. Entre autres : un moteur et un générateur électrique d’appoint pour le réacteur n° 1, équipements qui ont fait défaut pour le refroidissement des réacteurs à la suite du tsunami. La Nisa avait alors octroyé trois mois supplémentaires à la Tepco, considérant que cette absence de contrôle n’induisait aucun risque dans l’immédiat…

La collusion entre la Tepco et les autorités de sûreté japonaises a été dénoncée à de nombreuses reprises. En 2006, le sismologue ­Ishibashi Katsuhiko avait démissionné avec fracas d’un comité chargé de renforcer les normes antisismiques des centrales japonaises parce que celui-ci minorait les recommandations des spécialistes. Il décrivait alors à peu de chose près l’accident potentiel qui a frappé Fukushima Daiichi.

La Tepco gère 17 des 55 réacteurs nucléaires japonais. Fondée il y a soixante ans, l’entreprise est devenue un véritable État dans l’État. Situation de force qui explique sa réticence à fournir des informations fiables sur la situation de ses réacteurs et les incidents qu’ils accumulent depuis des années. Entre 1978 et 2010, ses centrales ont connu 99 incidents, dont 20 ont été jugés « critiques » par la Nisa. Ces avertissements n’ont guère ému les politiques. Au début des années 2000, plusieurs réacteurs de Fukushima ont connu des fissures dans les circuits de refroidissement. Les rapports censés les décrire ont été falsifiés avant parution. Au point qu’en avril 2003 la Tepco a été sommée d’arrêter provisoirement tous ses réacteurs, et que les principaux dirigeants ont dû démissionner. Après le séisme de 2007 qui a touché la province de Niigata, trois réacteurs ont été longuement fermés, à la suite d’une secousse de magnitude 6,8. Confrontée à des difficultés financières, la Tepco a alors entrepris de nouvelles économies, aux dépens, entre autres, de la sécurité.

En 2008, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui a toujours été très critique sur cette gestion à l’économie des centrales, prévient la Tepco – et le gouvernement – que les normes antisismiques de ses centrales sont obsolètes et que celles-ci ne sont pas assez protégées contre les effets d’un tsunami. L’opérateur n’en a tenu aucun compte. Lors du séisme du 11 mars, la Tepco aurait pu choisir de noyer immédiatement les bâtiments ou les cuves de confinement du combustible pour éviter tout risque de fusion des cœurs. Ce qui aurait irrémédiablement condamné les réacteurs, dont chacun coûte, au prix actuel de construction, entre un et deux milliards d’euros. L’opérateur a donc délibérément privilégié le sauvetage de ses équipements, contribuant à l’accident en cours.

Autre exemple de cette gestion déplorable : les spécialistes de la Tepco ne publient aucun chiffre sur les teneurs radioactives, qu’il s’agisse de la centrale, de ses abords immédiats ou de la province. Par ailleurs, ni l’entreprise ni le gouvernement ne fournissent la moindre information fiable sur les formes prises par les cônes de dispersion de la radioactivité en fonction des vents et des quantités relâchées. Alors que, grâce aux ordinateurs et aux informations fournies par les capteurs automatiques, il est pos­sible d’avoir une « image » des risques heure par heure. Depuis une semaine, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire français (IRSN), tout en se plaignant de ne pas disposer d’assez de données, s’efforce de modéliser l’évolution des panaches radioactifs, qui pourraient survoler la France.

Publié dans le dossier
Libye, la guerre du moindre mal
Temps de lecture : 3 minutes