T’as pas de boulot ? Prends un crédit !

Le gouvernement incite les chômeurs à recourir au microcrédit pour lancer leur entreprise ou financer leur formation. Un pis-aller qui souligne l’échec de la politique de l’emploi.

Pauline Graulle  • 24 mars 2011 abonné·es
T’as pas de boulot ? Prends un crédit !

Le chômage fait rage ? « Les chômeurs n’ont qu’à créer leur entreprise » , lançait en 1978 le Premier ministre Raymond Barre. La phrase fit scandale. Trente ans plus tard, elle ne choque plus personne. Surtout pas la direction de Pôle emploi, qui ne sait plus à quel saint se vouer pour remettre au boulot les bataillons de chômeurs qui frappent à sa porte. En 2008, près d’un demi-million d’emplois ont été détruits. Et du propre aveu de Christian Charpy, patron de Pôle emploi, « même les métiers en tension ont disparu » .

La semaine dernière, Pôle emploi lançait donc, en partenariat avec l’Adie, principale association de microcrédit en France, une grande campagne d’information dans cent dix agences locales. But de la manœuvre : faire ­connaître plus largement le microcrédit aux demandeurs d’emploi trop pauvres pour avoir accès au système bancaire mais néanmoins « tentés par la création d’entreprise » . Et ils seraient toujours plus nombreux.

Raréfaction de l’emploi salarié oblige, « de plus en plus de chômeurs créent leur micro-entreprise , se félicite Muriel Tchissambou, directrice adjointe d’une agence Pôle emploi en région parisienne. Le statut d’auto-entrepreneur [en vigueur depuis 2009, NDLR] fonctionne très bien : des maçons, peintres en bâtiment, esthéticiennes, parfois licenciés par leur boîte, se mettent à leur compte. Le recours au microcrédit peut les aider à se lancer » . Même si les taux d’intérêts (9,71 % !) de ces prêts de quelques milliers d’euros se révèlent un rien prohibitifs… « Ils sont supérieurs à d’autres prêts bancaires car l’Adie emprunte elle-même à d’autres banques, explique Alexandra Videloup, manageuse de l’agence Adie de Montreuil (93), mais, en contrepartie, des bénévoles proposent un accompagnement à la création d’entreprise » . Une aide de proximité qui, selon l’Adie, permettrait à 68 % des entreprises ainsi financées de sur­vivre au moins deux ans. Mais l’histoire ne dit pas le montant des émoluments de ces petits patrons, ni s’ils créent ­d’autres emplois que le leur…

Car, au-delà des satisfecit, certains observateurs doutent des bienfaits du mythe du self-made-man à qui tout réussit. « Pour des personnes vulnérables rejetées du monde du travail, la perspective de l’entrepreneuriat est souvent un miroir aux alouettes , explique Sylvie Chevrier, professeur à l’université d’Évry et auteur d’une recherche sur le dispositif de l’Aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise (Accre), lancée par Raymond Barre en 1997. Toutes les études montrent que la création d’entreprise est d’autant plus risquée que le créateur a traversé une longue période de chômage pendant laquelle il s’est probablement démotivé et isolé des réseaux professionnels. »

« Si les conseillers de Pôle emploi se mettent à encourager massivement l’entrepreneuriat pour faire baisser les chiffres du chômage, beaucoup de chômeurs risquent d’aller au casse-pipe ! », s’inquiète de même l’économiste Michel Abhervé. « Le développement des dispositifs qui incitent les chômeurs à créer leur entreprise est un pis-aller destiné à pallier la baisse continue des finances publiques (hors allocations chômage) dévolues à la lutte contre le chômage » , ajoute Didier Demazière, sociologue au CNRS.
Mais le partenariat Adie/Pôle emploi ne s’arrête pas en si bon chemin. ­

Désormais, chômeurs et allocataires de minima sociaux pointant à Pôle emploi pourront aussi s’offrir un « microcrédit personnel pour l’emploi ». « Ce microcrédit s’adresse à ceux qui, pour retrouver ou se maintenir dans un emploi salarié, ont besoin de financer un permis de conduire, une formation, un déménagement, ou encore l’acquisition ou la réparation d’un véhicule » , indique l’Adie. Soit quasiment mot pour mot la mission dévolue à l’Aide personnalisée pour le retour à l’emploi (APRE) créée en 2008 par Martin Hirsch, le père du RSA. Une aide financée sur fonds publics, mais dont l’octroi vient d’être sévèrement limité par Roselyne Bachelot, la nouvelle ministre des Solidarités…

« Le message subliminal du microcrédit pour l’emploi, c’est : “Si vous voulez être aidé à retrouver un emploi, c’est à vous de payer” ! » , s’indigne Joseph Romand, du SNU-Pôle emploi. Ou comment l’endettement personnel des personnes en difficulté pourrait, mine de rien, venir se ­substituer à la solidarité nationale… « Via le microcrédit, on transfère sur les individus le coût financier de la politique de l’emploi , confirme Didier Demazière. Maintenant, il faudra voir dans quelle mesure les agents de Pôle emploi seront, sur le terrain, les courroies de transmission de cette politique. » Vu l’ambiance qui règne en interne (management par objectif, contrôle accru sur les personnels, etc.), on est en droit de craindre le pire…

« Nous resterons vigilants, promet Muriel Tchissambou, de Pôle emploi, notre but n’est pas d’endetter outre mesure des gens qui peinent déjà à joindre les deux bouts. Les microcrédits de l’Adie ne sont qu’une aide parmi les autres. » Pour l’instant, en tout cas.

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