Ventres à vendre

Noëlle Guillon  • 3 mars 2011 abonné·es

Autrefois, elles scandaient « mon corps m’appartient » . Aujourd’hui, le ­ventre des femmes entraîne de nouveaux débats chez les féministes. Faut-il légaliser la gestation pour autrui (GPA) ? Les « mères porteuses » sont interdites en France depuis 1991 et une décision de la Cour de cassation stipulant que cette pratique « contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ». Ce que la loi de bio­éthique de 1994 a inscrit dans le marbre. Une femme qui accepte de porter un enfant pour une autre moyennant rémunération risque deux ans de prison et 30 000 euros d’amende.

Illustration - Ventres à vendre

Environ un millier de parents français auraient déjà eu recours à des mères porteuses à l’étranger, dans des conditions pouvant aller jusqu’au trafic. En 2008, un rapport d’un groupe du Sénat s’est dit favorable à une légalisation encadrée. 61 % des Français seraient sur la même ligne, selon un sondage Ipsos de janvier 2009, mais 55 % des femmes sondées n’y seraient pas prêtes pour elles-mêmes. Les jurys citoyens entendus aux États généraux de la bioéthique organisés de février à juin 2009 ont voté contre.

L’affaire est ardue. Tellement que les députés chargés de réviser la loi de bioéthique le mois dernier ont finalement évacué le sujet. Deux camps se dessinent à gauche et chez les féministes. D’un côté, ceux qui sont favorables à une légalisation encadrée, menés par la philosophe Élisabeth Badinter et une soixantaine de ­membres du Parti socialiste, dont Jean-Marie Le Guen et François Rebsamen. Selon eux, comme l’instinct maternel n’existe pas, une femme peut mener une grossesse pour une autre sans « tricoter une relation » avec l’enfant [^2]. En face, la philosophe Sylviane Agacinski, soutenue par une autre faction du PS, dont Michel Rocard, Lionel Jospin et Benoît Hamon, dénonce un usage du ventre qui « fait de l’existence même de l’être humain un moyen au service d’autrui ».

Quand les tenants de la GPA mettent en avant l’argument de « la libre disposition du corps » , les opposants s’élèvent contre un « faux-semblant » . « Il y a forcément une logique marchande : ce sont plutôt des femmes précaires qui feront le sacrifice contre rétribution » , estime Magali De Haas, d’Osez le féminisme. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, où la GPA est auto­risée, les rares études mettent en évidence la différence de niveau social entre la gestatrice et les parents d’intention, plus aisés. L’Académie de médecine déplore aussi le manque de données sociologiques et médicales sur les risques de la GPA. Quelles conséquences pour la gestatrice et pour l’enfant à ­naître ? En avril 2010, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est déclaré opposé à une légalisation.

Derrière la GPA : l’éternelle question du « droit à un enfant ». La médecine doit-elle réparer l’injustice de l’infertilité ? Faut-il sacraliser le lien biologique jusqu’à permettre à des couples d’obtenir « leur » enfant d’une autre ? « Nous sommes très méfiants vis-à-vis de l’identification des personnes par le biologique, déclare Danielle Gaudry, du Planning familial. Nous prônons plutôt l’assouplissement de l’adoption. » Paradoxalement, les pro-GPA, qui disent défendre la « filiation sociale » au nom de l’absence de lien entre la mère porteuse et l’enfant, se retrouvent à défendre la primauté du lien biologique : un enfant avec ses cellules, à tout prix.

[^2]: « Gestation pour autrui : un cadre contre les dérives », le Monde du 13 décembre 2010.

Publié dans le dossier
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