Le bourbier afghan

Déclarée comme « guerre au terrorisme », la guerre d’Afghanistan est rapidement devenue un conflit colonial dans toute son horreur.

Jennifer Austruy  • 14 avril 2011 abonné·es

Personne n’a oublié. Le 11 septembre 2001, les États-Unis et le monde entier sont sous le choc : les tours jumelles du World Trade Center, percutées par deux avions de ligne, s’effondrent. Les États-Unis et New York sont frappés en plein cœur par Al-Qaïda, l’organisation d’Oussama Ben Laden. Le président américain, George W. Bush exige immédiatement l’extradition du chef d’Al-Qaïda, que l’on dit caché en Afghanistan. Devant le refus du gouvernement afghan, il déclare la guerre à peine un mois après l’attentat en annonçant « des opérations militaires globales et implacables » . Dès lors, appuyée sur la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui « autorise les États, dans le cadre la légitime défense individuelle ou collective, d’agir pour prévenir les actes terroristes » , la guerre contre le terrorisme ( global war on terrorism selon l’expression consacrée par M. Bush lui-même) est lancée. « Dans un monde de terreur il n’y a ni paix ni neutralité » , avertit George Bush. Il s’engage alors à poursuivre les membres d’Al-Qaïda où qu’ils se trouvent.

Mais la fameuse guerre au terrorisme ne tarde pas à devenir une guerre pour déloger le régime taliban. Le tout, sur une toile de fond néoconservatrice qui prétend exporter son idéologie et son système dans tout le monde arabo-musulman. « Aujourd’hui, nous nous concentrons sur l’Afghanistan, mais la bataille est plus vaste » , fanfaronne George Bush. Les buts de la guerre ne cessent de s’étendre. Pas de demi-mesure dans « la croisade pour la démocratie » . Ceux qui ne soutiennent pas la guerre deviennent immédiatement ennemis des États-Unis et donc de la liberté. L’offensive démarre le 7 octobre, les militaires anglo-américains de l’opération « paix immuable » ( Enduring Freedom ) bombardent le pays sous couvert d’un mandat onusien. Jacques Chirac affirme immédiatement son soutien à l’intervention, et envoie dès le début des opérations des troupes aériennes.

Sur le terrain, l’écart dans le rapport de force est tel qu’en cinq semaines la coalition parvient à renverser le régime taliban. Elle met alors en place un gouvernement provisoire dirigé par un ectoplasme, Hamid Karzaï, qui malgré son élection en tant que président en 2004 ne possède aucune légitimité véritable. L’Otan prend bientôt le relais sur le théâtre afghan et créé la Force internationale d’assistance et de sécurité (Isaf), à laquelle la France participe activement. Jacques Chirac renforce alors le contingent français le 16 novembre et déclare lors d’une intervention télévisée : « Une fois encore, les démocraties ont su défendre leurs valeurs. Mais ne nous y trompons pas, le combat pour l’éradication du terrorisme sera long. Il faut le poursuivre par tous les moyens, financiers, judiciaires, policiers. » Il ajoute : « La France doit montrer la voie de la compréhension, du respect et du dialogue entre les peuples. » La participation française à « l’intervention humanitaire » ne fait à aucun moment l’objet d’un vote au Parlement. Le Premier ministre, Lionel Jospin, le déplore.

À partir de 2006, la guérilla menée par les forces talibanes contre la coalition prend une tournure particulièrement sanglante. Deux ans plus tard, devant la débâcle de l’Isaf, qui ne parvient pas à contenir l’insurrection islamiste, George W. Bush appelle ses alliés à augmenter leur contingent. Nicolas Sarkozy, fraîchement élu, est résolument décidé à réaffirmer sa position un sein de l’Otan. Il répond donc favorablement aux vœux pressants des États-Unis et annonce – sans davantage consulter le Parlement – l’envoi d’un millier de soldats supplémentaires alors qu’il est en visite officielle en Grande-Bretagne. Il argumente : « Est-ce que l’on peut se permettre, nous, l’Alliance, les alliés, de perdre en Afghanistan ? La réponse est non. Parce qu’en Afghanistan se joue une partie de la lutte contre le terrorisme mondial, donc on doit gagner. […] Est-ce que la France veut partir ? La réponse est non. » Le ton est donné. Le président français témoigne de son ralliement à l’idéologie néoconservatrice américaine visant à transformer les comportements sociaux des afghans sous couvert d’aide humanitaire. Bush déclarait en partant en guerre : « Le peuple opprimé d’Afghanistan va connaître la générosité de l’Amérique et de nos alliés. » Voilà maintenant une décennie que les Afghans subissent la générosité occidentale. Les pertes humaines sont considérables. Côté afghan, les morts se comptent en milliers alors que 55 soldats français ont déjà perdu la vie dans cette guerre qui semble bien loin du dénouement. Près de 140 000 soldats sont aujourd’hui présents sur place, dont 4 000 Français. L’Afghanistan absorbe actuellement 54 % du budget affecté « aux opérations extérieures » de la France, soit 470 millions d’euros pour la seule année 2010.

Illustration - Le bourbier afghan

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La dérive guerrière ?
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