Le conservatisme, une valeur de gauche ?

Droite et gauche néolibérale sont parvenues à travestir les projets les plus rétrogrades en « réformes de progrès », suscitant la
« réaction » des progressistes. Les mots ont-ils encore un sens ?

Pauline Graulle  • 7 avril 2011 abonné·es

En politique, on trouve toujours plus « conservateur » que soi. Nicolas Sarkozy est un « néoconservateur américain à passeport français » , estimait, dans une formule restée célèbre, Éric Besson (période socialiste). « C’est un homme de changement et de mouvement , répliquait Fadela Amara, autre ministre “d’ouverture”, c’est le PS qui est devenu synonyme de conservatisme dans ce pays ! » Et le PS de renvoyer le compliment à sa propre aile gauche : Jack Lang jugeant Jean-Luc Mélenchon « un peu conservateur » , et Jean-Christophe Cambadélis (proche de Dominique Strauss-Kahn) raillant le « néocommunisme plutôt conservateur » du Parti de gauche… et le « conservatisme de rupture » de Nicolas Sarkozy ! Bref, on n’y comprend plus rien. Sauf qu’il ne fait pas bon être taxé de conservateur au pays de la Révolution.

C’est que le conservatisme a mauvaise presse. Et pour cause. Doctrine politique, la « révolution conservatrice » lancée par Thatcher et Reagan a entraîné les dégâts sociaux que l’on sait. Creuset du sarkozysme, elle conduira en outre à un « spectaculaire déplacement vers la droite »  [^2] de la gauche française. À grands coups de « réformes » et de dérégulations (les privatisations de France Télécom, d’Air France…), l’ère Jospin ne fera ainsi qu’entériner le statu quo d’une mondialisation ultralibérale. Et les hypothétiques « années DSK » à venir n’inverseront pas le cours des planètes.

Mais si la « gauche de gauche » accuse la « gauche de droite » de céder au conservatisme ultralibéral, cette dernière trouve à la « première gauche » comme un arrière-goût de passéisme. Symbole de ce ­« conservatisme de gauche », Jean-Luc Mélenchon. À la tête d’un parti sur lequel il règne sans partage, l’auteur de Qu’ils s’en aillent tous ! semble moins acharné à réclamer le départ des dictatures cubaine et chinoise. Défenseur farouche d’une laïcité très « IIIe République », il est encore influencé par l’idéologie productiviste, à peine nuancée par son projet de « planification écologique », une vision d’ailleurs plus pyramidale et centralisatrice qu’horizontale et démocratique.

Comme le cholestérol, il y a le « mauvais » et le « bon » conservatisme. Celui qui exige le maintien de l’ordre public, des bonnes mœurs et des classes sociales. Et puis celui qui signifie « ne pas perdre », « préserver ». Exemple : la retraite à 60 ans, le repos dominical ou les services publics. Nicolas Sarkozy, ce président qui n’arrête pas de « changer » , a habilement joué de l’ambiguïté du terme pendant la campagne de 2007. Mais le même qui reprocha l’« immobilisme » d’une gauche opposée à la « modernité » néolibérale, prononça le fameux discours de Latran, ode à la droite catholique la plus réactionnaire.

« La lutte des classes est un processus conservateur » , écrivaient Marx et Engels, dans l’ Idéologie allemande . Alors que les véritables conservateurs avancent avec le faux nez du progrès, vantent la « flexibilité » (des travailleurs) ou sacralisent le mouvement perpétuel (des capitaux) pour conserver leur domination, les vrais progressistes apparaissent, eux, comme des conservateurs. Qui considèrent que ce que l’on appelle, à tort, les « acquis » sociaux ne le sont jamais tout à fait…

[^2]: D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Didier Eribon, Léo Scheer, 2007.

Publié dans le dossier
Enquête sur la gauche de droite
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