DSK : le scénario parfait d’une chute inattendue

L’affaire Dominique Strauss-Kahn, qui apporte chaque jour son lot de rebondissements et de démentis, est suivie en France avec passion. Isabelle Veyrat-Masson, sociologue et historienne des médias, décrypte les ressorts d’un fait divers «parfait» à portée universelle.

Erwan Manac'h  • 20 mai 2011
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DSK : le scénario parfait d’une chute inattendue
© Photo : AFP / Emmanuel Dunand

Depuis l’annonce, dans la nuit de samedi 14 à dimanche 15 mai, de l’incarcération de Dominique Strauss-Kahn accusé d’attouchements et de tentative de viol, l’affaire a suscité un engouement hors du commun. Les médias enregistrent des fréquentations records : 2,4 millions d’internautes sur le « direct » du Monde.fr dans la journée de lundi, des records d’audience sur les chaînes d’information continues avec un pic à 700 000 téléspectateurs sur BFMTV au moment de la comparution de DSK en début de semaine et les journaux télévisés ou papier qui retrouvent des audiences qu’ils n’avaient plus connues depuis longtemps.

Pour Isabelle Veyrat-Masson, historienne et sociologue des médias au CNRS, l’affaire DSK présente tous les ingrédients d’une parfaite tragédie politique.

Politis.fr : Les médias enregistrent des audiences historiques avec l’affaire DSK, comment l’interprétez-vous ?

Ce n’est pas surprenant. Cette histoire a tous les ressorts d’une belle fiction : la puissance, l’argent le sexe. C’est le récit d’un être très puissant qui tombe au plus bas très rapidement. C’est une histoire extraordinaire, incroyable, qui raconte la folie des hommes. Un récit avec tous les ressorts d’un bon fait divers, avec des enjeux beaucoup plus lourds, car il met en scène la personne qui était censée devenir président de la République. On peut donc s’intéresser à cet événement sans avoir honte, car il aura des conséquences universelles.

C’est la chute qui fascine, elle nous laisse croire que même les puissants sont en réalité petits et vulnérables. Ces histoires nous racontent que les riches sont des gens comme nous. Ce qui console les humbles.

En conséquence, les médias font de cette affaire un traitement foisonnant… alimentant une boulimie d’information ?

Il y a surtout le sentiment qu’on peut voir les choses telles qu’elles se déroulent en vrai, devant sa télévision ou son ordinateur. Ce traitement, que j’appelle «sportif», était réservé à la radio, puis à la télévision, mais aujourd’hui même la presse écrite peut le faire avec une omniprésence de l’image.

Il y a aussi un phénomène lié à la vidéosurveillance et des images omniprésentes. On peut imaginer – c’est un fantasme – qu’il existe une image de Dominique Strauss Kahn en train de commettre ce viol et qu’il sera possible de la voir en restant devant son écran de télévision. On a le sentiment aujourd’hui que les médias nous permettent d’aller derrière le miroir.

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Est-ce que cette nouvelle façon de s’informer a fait évoluer le mécanisme de la création des opinions ?**

Je suis plutôt optimiste. On retrouve les mêmes phénomènes que devant tous les événements : la théorie du complot ou au contraire l’emballement et l’adhésion… mais grâce aux divers médias, on s’aperçoit que les gens vont chercher l’information et la confronte. En conséquence, les gens changent d’opinion très rapidement, heure par heure, minute par minute, car ils ont le sentiment d’être maître de leur information.

D’ailleurs, la théorie du complot est une manière de se sentir maître de l’information. Ce sentiment de toute puissance vient des nouveaux médias. Il est corroboré par la possibilité que nous avons d’aller vérifier nos théories.

Jeudi, 57 % des personnes interrogées par un sondage CSA disaient croire « certainement » (22 %) ou « probablement » (35 %) à la théorie du complot…

La théorie du complot est une manière de se sentir maître de l’information : je ne suis pas dupe des versions « officielles »…

Le refus de croire est naturel chez les gens. Ce sont des gens qui veulent se faire leur propre opinion. Ils vont aller s’informer et recouper leurs informations pour se faire leur opinion, avec le refus de s’être trompé d’une façon aussi évidente, pour ceux qui avaient une opinion favorable de DSK. Cette histoire qu »‘on » leur raconte leur est incompréhensible; la théorie du complot face à ce type d’information est un moyen d’introduire de la rationalité. C’est une explication simple.

Il faut essayer de mettre des explications dans ce déferlement d’instincts…le sexe, l’agressivité, l’irrationalité d’un tel acte. Le fait même qu’il se soit laissé prendre paraît incompréhensible. Cela ne correspond pas à notre image d’un homme puissant qui a les moyens financiers et le pouvoir de faire taire les juges ou de fuir à travers le monde.

Les réactions françaises s’expliquent par des raisons lourdes : mettre du sens dans l’irrationalité et dans la folie. Comme faire avec ce sentiment que les choses ne sont subitement plus contrôlées, alors que les hommes pensent que tout est contrôlable. L’explication par le complot découle bien de cette idée : l’esprit humain n’accepte pas quelque chose qu’il ne peut pas comprendre. Il a besoin d’aller chercher des explications toutes simples issue de l’invention humaine pour expliquer l’inexplicable.

L’image sélectionnée par les médias en début de semaine a fait réagir. Beaucoup de commentateurs se sont dit « accablés ». Pourquoi ?

Je crois qu’il y a un phénomène d’identification. Ils se sont projetés dans l’accablement qu’ils ont vu dans le visage de Strauss-Kahn. Mais à mon sens, DSK paraît moins accablé que ce qu’on a pu dire. Il était présent, attentif et concentré. Les journaux choisissent l’image qui correspond à l’histoire qu’ils racontent et proposent leur interprétation. Celle de la chute d’un homme très puissant qui revient plus bas que tout et qui se présente au tribunal sale et mal rasé.

C’est pour ça que je pense qu’il ne faut pas que les médias relaient les images comme ils le font. La presse, sachant qu’elle rencontre ce désir de voyeurisme, presque de « sadisme », doit garder une certaine distance. Elle doit raconter et informer, mais avec retenue et mesure sans aller dans le sens de nos instincts les plus discutables.

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Illustration - DSK : le scénario parfait d'une chute inattendue

Illustration - DSK : le scénario parfait d'une chute inattendue

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