Le gouvernement veut inscrire l’austérité dans la loi

Après la Grèce, l’Irlande et le Portugal, les plans d’austérité arrivent en France. Une loi imposant la réduction drastique des déficits est actuellement discutée en catimini à l’Assemblée nationale. La gauche s’insurge contre cette mesure qui pèsera sur les classes populaires et moyennes.

Thierry Brun  • 12 mai 2011 abonné·es
Le gouvernement veut inscrire l’austérité dans la loi
© Photo: AFP / Bonaventure

C’est à un véritable tour de force que se livrent Nicolas Sarkozy et son gouvernement. En catimini, le chef de l’État et François Fillon ont présenté un projet de loi de réforme constitutionnelle qui devrait inscrire le retour à l’équilibre des finances publiques dans le marbre de la Constitution [^2]. Si l’intention semble à première vue louable, elle est lourde de conséquences, tant économiques et sociales que démocratiques. La loi concoctée à l’Élysée propose de fixer un objectif de « réduction des déficits » valable pendant au moins trois ans. Cet objectif devra être validé par Bruxelles et s’imposera à toutes les lois de finances votées à l’Assemblée nationale. Les gouvernements et leur majorité devront ainsi respecter un plafond de dépenses publiques et s’assurer du montant des recettes prévues, indépendamment de la conjoncture. Le risque : faire de l’austérité une intangible règle d’or. L’économiste Henri Sterdyniak y voit une « politique économique qui vise à rassurer les “marchés financiers” »  (voir ci-contre), tandis que les réductions draconiennes des budgets sociaux et des services publics seraient irréversibles.

  • Quelle est l’origine de la réforme constitutionnelle ?

Le texte s’inspire des préconisations, remises en juin 2010, du groupe de travail présidé par l’ancien ­directeur du FMI, Michel Camdessus. « Le contenu de ce texte correspond à une demande explicite de la Commission européenne et du Fonds monétaire international (FMI) », estime la députée du Parti de gauche Martine Billard. L’Élysée veut aussi répondre aux règles du « Pacte euro plus » adopté en mars par les 27 sous l’impulsion d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. « C’est en fait une réforme globale préconisée par le “Pacte euro plus”. Ce pacte s’imposera dans le débat budgétaire national et fixera des orientations sur les dépenses publiques, la réforme des régimes de retraites ou la Sécurité sociale » , relève Martine Billard.

  • Que propose le projet de loi ?

Le projet de loi innove en inscrivant dans la Constitution une nouvelle catégorie de lois : les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, qui prévaudront sur les textes ordinaires annuels que sont les lois de finances et lois de financement de la Sécurité sociale. Ces lois pluriannuelles programmeront le niveau de réduction des déficits afin de parvenir, à moyen terme, à un retour à l’équilibre des comptes publics. Avec en ligne de mire « la nécessité d’une convergence économique dans la zone euro », fixée par le « semestre européen » [^3] et le Pacte de stabilité et de croissance (PSC). La contrainte : un déficit annuel qui ne peut excéder 3 % du PIB, et des dettes publiques cumulées qui doivent rester inférieures à 60 % de ce même PIB (81,7 % fin 2010 pour la France). « Depuis 1999, l’expérience du PSC a ­montré que ces normes arbitraires ne sont ni respectables ni respectées » , contestent les économistes Catherine Mathieu et Henri Sterdinyak [^4]. « Pour la première fois, en effet, des budgets seront pilotés, téléguidés par ­l’Europe. Aux termes de l’article 12, le gouvernement voudra bien transmettre au Parlement le programme de stabilité avant que celui-ci n’arrive devant la Commission européenne : on serait presque tenté de dire merci ! » , ironise le député communiste Jean-Claude Sandrier.

  • La Sécu, les retraites et les collectivités sont-elles épargnées ?

Non. Le projet de loi inclut les ressources de la Sécurité sociale (article 1er) et celles des collectivités territoriales (article 11). « Dans ce paquet fixant l’évolution des dépenses publiques, il y aura le budget de l’État, de la Sécurité sociale, les collectivités locales, les indemnisations chômage et les complémentaires retraite » , détaille Martine Billard. Une loi-cadre fixera un plafond de dépenses et un minimum de recettes, « ce qui veut dire que si les dépenses de l’État augmentent plus que prévu pour une raison ou pour une autre, le budget de la Sécurité sociale devra diminuer à due concurrence parce que le plafond de dépense s’applique aux deux collectivement » , ajoute la députée. Cela veut dire aussi que l’opposition ne peut plus déposer un amendement ou une proposition de loi qui aurait des conséquences financières, y compris une proposition de loi sur la fiscalité écologique qui proposerait d’augmenter les recettes…

  • Une loi d’austérité pour tous ?

S’il arrive à son terme, le projet de loi pèsera lourdement sur les couches populaires et les classes moyennes, mais pas sur les plus riches, ont rappelé à l’Assemblée nationale les députés de gauche, y compris le Parti socialiste. Les déficits, soit 148,8 milliards d’euros pour 2010 (1 800 milliards ­cumulés annoncés pour 2012), n’ont pas pour seule origine la crise financière de 2008 : « Ce n’est pas de là que viennent les déficits, mais du manque de recettes fiscales, 100 milliards d’euros, et des niches sociales, lesquelles représentent au total, avec les cadeaux fiscaux, 173 milliards d’euros. Seul un tiers du déficit budgétaire est dû à la crise, elle-même due aux marchés financiers » , insiste Jean-Claude Sandrier. Réduction de la TVA pour les restaurateurs, bouclier fiscal limitant la progressivité de l’impôt pour les plus riches et niches fiscales ont creusé les inégalités et les déficits, mais seuls les budgets publics trinqueront.

  • La réforme constitutionnelle arrivera-t-elle à son terme ?

Les députés ont achevé l’examen en première lecture du projet de loi constitutionnelle le 10 mai, et les sénateurs ont prévu son examen à partir du 14 juin, pour se prononcer avant l’été. En fin de processus législatif, le gouvernement devra aussi présenter cette loi au Congrès et obtenir une majorité des trois cinquièmes des suffrages, nécessaire à la révision constitutionnelle. Ce qui est loin d’être acquis. Pour l’instant, l’Élysée et le gouvernement manœuvrent pour remettre au premier plan la lutte contre le « laxisme » budgétaire moins d’un an avant l’élection présidentielle et les élections législatives. Nicolas Sarkozy espère ainsi faire coup double : se placer du côté de la vertu budgétaire avec l’adoption au Parlement du projet de loi et éviter le débat sur sa responsabilité dans l’explosion de la dette.

[^2]: Projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, n° 3253, déposé le 16 mars à l’Assemblée nationale.

[^3]: Le Semestre européen est un cycle de surveillance annuel assorti de sanctions qui démarre en janvier pour chaque État membre de l’Union européenne. Sur la base d’un rapport de la Commission européenne, le Conseil formule des orientations spécifiques au mois de juin ou juillet.

[^4]: Faut-il inscrire le retour à l’équilibre des finances publiques dans la Constitution ?, Catherine Mathieu et Henri Sterdinyak, Clair&net@OFCE, 2 mai 2011.

Publié dans le dossier
Les boucs émissaires de Sarkozy
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