Le e-G8 : un forum alibi

Christine Tréguier  • 2 juin 2011 abonné·es

Il en rêvait, Publicis l’a fait. Nicolas Sarkozy a eu son e-G8. Un coup de pub à 3 millions d’euros pour notre grand civilisateur de l’Internet, à l’occasion de ce forum qui n’avait de G8 que le nom, car aucun représentant des États membres ne s’est déplacé aux Tuileries pour y assister. Le financement est venu de Publicis et d’une douzaine de généreux sponsors, Orange, Google, eBay, Microsoft, Alcatel, Vivendi, Free, etc., qui s’assuraient ainsi une place de choix à la tribune. Sur 1 500 invités, à peine une dizaine d’ONG représentaient la société civile. Et les thématiques des conférences traduisaient clairement les préoccupations : croissance, innovation, propriété intellectuelle, société (vue par les fournisseurs de services). Bref, un e-G8 taillé sur mesure pour éviter les débats qui fâchent et faire comprendre aux géants du Net, fournisseurs d’accès et de services, et PDG d’e-entreprises – qualifiés par Sarkozy lors de son discours d’ouverture de « Colomb, Galilée, Newton et Edison »  – qu’il était temps de prendre leur part de responsabilité aux côtés des États. Autrement dit de les aider à contrôler Internet en général et les échanges de contenus culturels en particulier.

Les intervenants se sont succédé, chacun prêchant pour sa chapelle, mais quelques voix discordantes ont néanmoins retenu l’attention médiatique. En premier lieu celle de la Cnil, qui n’avait pas été invitée et qui regrette « l’absence de tout régulateur des données personnelles et de la vie privée ainsi que des associations de défense des libertés ou des consommateurs ». Son communiqué s’achève sur cette phrase : « Lors de cet événement où tout s’achète, combien coûte la protection de la vie privée ? Apparemment pas grand-chose ! » John Perry Barlow (vice-président de l’Electronic Frontier Foundation) s’est invité à la conférence sur la propriété intellectuelle :  « En continuant à imposer cet ordre ancien, à préserver ces modèles économiques éculés, sans reconnaître la relation qui existe entre la création et son public et [ sans se demander] comment monétiser cette relation-là à l’avenir, nous continuons à détricoter cet Internet » , a-t-il asséné, troublant le consensus, au grand dam du ministre de la Culture et de Pascal Nègre (Universal).

Le lendemain, c’est la société civile en colère qui a organisé sur place une conférence de presse impromptue, dénonçant « l’écran de fumée » de ce e-G8. À la table, Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net, le juriste Lawrence Lessig, le journaliste-blogueur Jeff Jarvis, Jean-François Julliard, de Reporters sans frontières (RSF), et Susan Crawford, de l’Icann. Pour eux, les dirigeants de grandes entreprises invités n’ont aucune légitimité pour parler au nom des internautes, et la volonté politique de régulation s’oppose à la nature même du Net, qui est d’être ouvert. Ils ont rappelé la nécessité de défendre sa neutralité et les libertés fondamentales, dont celle d’un libre accès à Internet.

Mais tout était joué d’avance. Les conclusions, dévoilées par le New York Times avant le début de l’e-G8, ont bien été approuvées. Elles reconnaissent le rôle des gouvernements pour un essor « équilibré » d’Internet. Les États s’engagent dans la défense de quelques grands principes – liberté, vie privée, cybersécurité et propriété intellectuelle. Et évoquent, concernant cette dernière, la nécessité de « mettre en place des législations et des cadres nationaux pour en améliorer le respect » et de « prendre des mesures fermes contre (leur) violation » . Rien de contraignant pour le moment, mais l’ombre du filtrage plane de plus en plus sur le réseau.

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