De quel bois ils nous chauffent !

Les habitants de plusieurs villes souffrent de factures d’électricité anormalement élevées depuis des années, ou les voient soudain grimper en flèche. En cause, les agissements obscurs des sociétés privées.

Pauline Graulle  • 21 juillet 2011 abonné·es
De quel bois ils nous chauffent !

Drôle d’idée de causer chauffage en plein été… C’est pourtant le 29 juin que la Confédération syndicale des familles (CSF) a lancé une campagne alertant les usagers, les bailleurs et les associations d’élus, sur le « scandale national » des réseaux de chauffage urbain.

La veille, avait lieu à Clichy -la-Garenne (Hauts-de-Seine) une table ronde très attendue. Maintes fois repoussée, elle a réuni des élus locaux, des membres de GDF-Suez (le groupe énergétique détient à 100 % la Société de distribution de chaleur de Clichy) et des représentants d’associations d’habitants. À l’ordre du jour : la facture de chauffage des Clichois, notamment celle des locataires des 3 700 logements HLM de Clichy Habitat. Un sujet brûlant puisque la Chambre régionale des comptes a estimé que la douloureuse, à Clichy, est 40 % plus élevée que la moyenne !


« La note de chauffage est tellement lourde qu’elle équivaut parfois à un loyer », s’indigne Annick Lauzeray, propriétaire d’un logement raccordé au réseau de chauffage urbain, qui affirme payer son chauffage 500 euros de plus que l’année dernière. Même son de cloche de Jacqueline Crémieux, élue des locataires de l’office HLM : « Sur une facture annuelle de 1 090 euros, je paie 350 euros de trop. » Une somme plutôt rondelette, vue de ces habitations réservées aux plus pauvres…


Comment expliquer ce surcoût qui, « selon certains experts, rapporte Alain Fournier, maire adjoint Europe Écologie-Les Verts, s’élèverait à Clichy à 100 millions d’euros » sur trente ans ? Ni les élus ni les habitants n’ont, à ce jour, percé le mystère. Le contrat de délégation de service public qui lie, depuis 1965, la ville dirigée par le PS Gilles Catoire et GDF-Suez est devenu, avenant après avenant, complètement abscons.


Du coup, nul ne peut dire si la flambée des prix est le fait de la hausse des combustibles, de la négligence de la municipalité, qui a signé des avenants à tour de bras, de manœuvres pour augmenter les dividendes des actionnaires de GDF-Suez sur le dos des habitants… Ou un peu de tout cela à la fois !

« On a l’impression que plus vite l’affaire est enterrée, mieux c’est », soupire Jacqueline Crémieux. Avec, d’un côté, GDF-Suez qui ne veut pas entendre parler de remboursement, car « cela reviendrait à avouer qu’ils nous ont grugés ! », raille Annick Lauzeray. De l’autre, des élus qui s’estiment pieds et poings liés avec l’opérateur privé. Certes, le contrat entre Clichy et GDF-Suez prend fin en 2015. Mais l’entreprise propose d’accorder une baisse des tarifs de 20 % (n’est-ce pas une forme d’aveu ?) à la condition que la ville rempile pour vingt ans ! Un deal qui passe mal dans les associations d’habitants : « C’est une goutte d’eau par rapport à ce qu’on a payé, c’est inacceptable », déplore Jacqueline Crémieux.


Reste que les habitants de HLM, qui ne cracheraient pas sur une augmentation rapide de leur pouvoir d’achat, même modeste, pourraient se laisser prendre au « piège »

Emblématique, l’affaire de Clichy est loin d’être un cas isolé. À Grenoble, Montbéliard ou Compiègne, des affaires semblables ont éclaté. Le 8 juillet dernier, l’Union sociale pour l’habitat [^2] publiait d’ailleurs un rapport où elle épinglait le « manque de transparence de la constitution des tarifs » et s’étonnait des « écarts de 1 à 4 » de coût entre les 414 réseaux de chauffage urbain de France.


Derrière ces réseaux, toujours les mêmes opérateurs privés : Dalkia (détenu par Veolia) et GDF-Suez, qui, via leurs multiples filiales, se partagent plus de 90 % d’un marché juteux et captif : 350 communes et 2 millions d’usagers reliés au chauffage urbain. Et ce n’est qu’un début. Le Grenelle de l’environnement encourage en effet le recours à ces réseaux, présentés comme « plus sûrs, plus propres » et, surtout, « moins chers » !


À Grenoble, on se pince… Dans l’agglomération où la gestion du chauffage urbain, qui alimente 91 000 logements, a été confiée à une société d’économie mixte (SEM) détenue à 51 % par la ville et à 42 % par Dalkia, la facture de chauffage a brutalement grimpé de 30 % en plein mois de juillet 2008. Les causes ? Notamment le coût de l’abonnement, qui a plus que doublé, et qui aurait permis à la SEM d’afficher un résultat de 6,8 millions d’euros. Du jamais vu ! 
 « La compagnie de chauffage a versé 900 000 euros de dividendes à ses actionnaires, dont la moitié à Grenoble, pendant que nous, on devait suivre péniblement l’envolée des prix », résume Séverine François, habitante du quartier de la Villeneuve et directrice de la Confédération nationale du logement de l’Isère.


Grand prince, Michel Destot, maire de Grenoble (PS), aurait promis de reverser la totalité des dividendes (450 000 euros) aux centres communaux d’action sociale. « Curieuse idée que de prendre aux pauvres pour donner aux pauvres, grince Séverine François. D’autre part, Dalkia a semble-t-il empoché et capitalisé ses dividendes sans être inquiété. » 
Pour l’heure, les habitants de Clichy et de Grenoble réclament en urgence une remise à plat des tarifs, le remboursement des trop-perçus, le recours à des experts indépendants, et s’interrogent sur les alternatives. Qui divergent parfois fortement : tandis que Jean-Pierre Auffret, premier adjoint PS au maire de Clichy, compte sur « l’arrivée d’opérateurs européens » pour faire jouer la concurrence, Alain Fournier estime qu’une solution consisterait à « gérer le chauffage en régie directe ». Impossible de rassembler les fonds pour ce faire, indique-t-on à la mairie.
Pourtant, Jean-Baptiste Willaume, secrétaire confédéral à la CSF, explique : « On sait qu’à cause de leur complexité et de leur opacité, ces partenariats public-privé posent de vrais problèmes démocratiques. » Auxquels il serait grand temps de s’attaquer.


[^2]: L’organisation présidée par le sénateur PS Thierry Repentin compte 800 organismes HLM.

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