La deuxième vie de Mahmoud Abbas

Le 23 septembre, Mahmoud Abbas a demandé à l’ONU la reconnaissance d’un État palestinien. Il a prononcé un discours ferme, qui exclut d’entrer en négociation sans un calendrier précis. Les États-Unis et l’Europe doivent maintenant afficher leurs positions.

Denis Sieffert  • 29 septembre 2011 abonné·es
La deuxième vie de Mahmoud Abbas

Ovationné par une foule enthousiaste à son retour à Ramallah, Mahmoud Abbas a, en quelques jours, transformé son image de négociateur terne, et souvent faible, en « héros » ­populaire, comme l’a écrit non sans emphase l’éditorialiste du quotidien Al-Qods . Soudain désireux de cultiver les symboles, celui qui est redevenu Abou Mazen, son nom de guerre de l’époque des fedayins, s’est aussitôt rendu sur la tombe de Yasser Arafat : « Nous sommes allés à l’ONU en portant vos espoirs, vos rêves, vos ambitions, vos souffrances, votre vision et votre désir pour un État palestinien indépendant » , a-t-il déclaré, interrompu à plusieurs reprises par les acclamations.

À New York, malgré les pressions américaines et européennes, Abbas n’a pas renoncé à demander l’adhésion de la Palestine à l’ONU « sur la base des lignes du 4 juin 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale » .

Longtemps cantonné par Arafat au rôle du négociateur, Mahmoud Abbas, bien que pionnier du mouvement palestinien – il fut l’un des fondateurs du Fatah, en 1959 –, n’a jamais eu le prestige du « guerrier ». Il ne s’est jamais identifié à la résistance armée. Dès les années 1970, cet homme originaire de Galilée (aujourd’hui, au nord d’Israël), et réfugié en Syrie à partir de 1948, a plaidé au sein de la direction palestinienne en faveur de contacts avec la gauche israélienne. Il a été l’un des ­artisans des négociations secrètes qui ont conduit aux accords d’Oslo en 1993. Un rôle ingrat au sein d’une population qui n’avait pas admis le renoncement à 78 % de la Palestine mandataire.

Dans la logique de cette stratégie très diplomatique, Mahmoud Abbas s’opposera ouvertement à la militarisation de la deuxième Intifada, à partir de septembre 2000. Éphémère Premier ministre d’Arafat d’avril à septembre 2003, il se brouille ensuite avec le vieux leader palestinien. Il est cependant élu à la présidence de l’Autorité à la mort d’Arafat. Pour son peuple, il est l’homme des poignées de mains avec Sharon et Nétanyahou.
Toute sa stratégie repose sur la confiance qu’il fait à ses interlocuteurs américains et israéliens. Jouissant un temps du soutien populaire, il est finalement sévèrement désavoué lors des élections législatives de janvier 2006, remportées par le Hamas.

De plus en plus, Mahmoud Abbas renvoie l’image d’un homme faible, constamment floué par ses « partenaires ». Les négociations, auxquelles il ne renonce jamais, apparaissent pourtant de plus en plus comme un théâtre d’ombres qui permet aux Israéliens de gagner du temps pour intensifier la colonisation. Sur un plan économique, il est partisan d’une politique libérale. Il nomme pour cela au poste de Premier ministre un technocrate qui rompt avec la tradition des leaders historiques : Salam Fayyed, ancien cadre de la Banque mondiale.

Abbas va si loin dans le compromis – beaucoup parlent de « compromission » – que certains de ses ­opposants au sein de la gauche laïque palestinienne le comparent à Pétain. Il mord le trait, incontestablement, lorsqu’il semble faire cause commune avec Israël, et avec ­l’Égyptien Moubarak, contre le Hamas. Ce sont les préparatifs d’offensive armée du Fatah contre le Hamas qui conduiront le mouvement islamiste à prendre les devants, et à s’emparer du pouvoir militairement à Gaza, en juin 2007. C’est la faute historique d’Abbas, pris ainsi en tenaille entre Israël, qui une fois de plus le piège, et le Hamas. Faute qu’il paie d’une perte de légitimité à Gaza, où le pouvoir du Hamas est toujours sans partage.

Il apparaît pourtant aujourd’hui qu’Abbas avait une stratégie sinon irréprochable, du moins cohérente : mettre son pays en ordre économique, se présenter comme un partisan constant du dialogue, pour revendiquer ensuite ce que ses interlocuteurs lui avaient promis : la reconnaissance d’un État palestinien.
Beaucoup doutaient, avant le discours de l’ONU du 23 septembre, de la fermeté de Mahmoud Abbas. Est-ce l’aboutissement d’une stratégie mûrie de longue date, ou le résultat de la brusque prise de conscience d’un homme trop longtemps dupé par Israël, mais aussi par Washington et les grandes capitales européennes ?
Toujours est-il que le vieil homme est allé jusqu’au bout de sa démarche. Il n’a finalement renoncé ni à demander la ­reconnaissance pleine et entière d’un État palestinien membre de l’ONU, ni aux frontières du 4 juin 1967, ni à Jérusalem-Est comme capitale.

Reste le douloureux problème du droit au retour des réfugiés. Reste aussi que les longues tractations qui ont débuté lundi aux Nations unies peuvent encore laisser le temps d’un nouveau recul palestinien. La postérité d’un homme n’est certes pas le problème principal du peuple palestinien, mais, à 76 ans, Mahmoud Abbas trouve dans la situation actuelle une chance inespérée de léguer une image positive à l’histoire. Ce peut être suffisant pour inciter à la fermeté celui qui fut de tout temps le « modéré » de la direction palestinienne.

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