Tchernobyl : le nuage innocenté

La mise hors de cause de Pierre Pellerin est considérée comme un « déni de justice » par les associations de malades de la thyroïde.

Patrick Piro  • 15 septembre 2011 abonné·es

Pas de preuve, donc pas d’affaire et pas de responsable : en rendant un non-lieu général dans l’affaire des retombées du nuage de Tchernobyl, mercredi 7 septembre, la cour d’appel de Paris a reçu une volée de commentaires scandalisés.


Pour les associations de malades engagées dans la bataille, plusieurs personnalités écologistes et la poignée de scientifiques qui avaient inlassablement collecté des données à charge, c’est « révoltant », « un déni de justice », « l’impunité pour le nucléaire », « une insulte pour les malades »

L’unique accusé était Pierre Pellerin, ancien directeur du Service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI). Mis en examen pour « tromperie aggravée », le voilà officiellement blanchi.


En mai 1986, l’homme avait symbolisé à lui seul la posture de dénégation du gouvernement français, en minorant de manière grossière l’ampleur de la contamination provoquée par le nuage sur la France : plusieurs communiqués et déclarations insistaient sur le fait qu’il n’y avait aucune précaution particulière à prendre, alors que la plupart des pays limitrophes adoptaient des mesures d’interdiction de consommation d’aliments connus pour concentrer la radioactivité, comme les légumes à feuilles, les champignons ou le lait.


Le mensonge a pourtant été établi, depuis le dépôt d’une plainte en 2001 par 51 membres de l’Association française des malades de la thyroïde. La patiente quête de la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy a permis d’exhumer plusieurs documents montrant que le gouvernement avait omis de divulguer des données révélant des taux de radioactivité très élevés dans des aliments, dans certains endroits du territoire, et notamment en Corse. Une consommation régulière pouvait alors déclencher des maladies, tels des cancers de la thyroïde. Cependant, le tribunal ne jugeait pas s’il y avait eu mensonge, mais si le défaut d’information auprès des populations avait pu mettre celles-ci en danger. Réponse négative, donc.


Ce n’est pas une grande surprise. Les défenseurs des malades savaient leur tâche ardue : comment prouver le lien de cause à effet entre les propos rassurants (voire méprisants) de Pellerin, une consommation excessive de produits contaminés en mai 1986 et le déclenchement d’un cancer quinze ans après ?


Cet échafaudage démonstratif audacieux a pourtant été peu à peu étayé au cours des années. L’un des éléments les plus probants vient de Corse, où un rapport d’expert a montré une hausse des troubles thyroïdiens de 44 % à 100 % après le passage du nuage.


Une étude en cours permettrait d’en savoir plus : il s’agit de l’établissement d’une carte épidémiologique complète de l’île, à superposer aux zones les plus contaminées par Tchernobyl. Josette Risterucci, présidente de la « commission Tchernobyl » à l’Assemblée de Corse, a indiqué que le non-lieu n’interrompait pas son travail.


Une adresse claire à l’attention de l’État, dont l’orientation sur cette affaire est connue depuis longtemps. En mars dernier, le Ministère public avait même pris l’initiative de soutenir la demande de non-lieu présentée par Pierre Pellerin, avec pour conséquence la suspension des investigations de Marie-Odile Bertella-Geffroy dans l’attente de la décision de la cour d’appel.


Cette dernière vient d’accorder un certificat d’irresponsabilité à l’un des plus zélés serviteurs du nucléaire national, domaine qui reste classé « intérêt supérieur de la nation » malgré la catastrophe de Fukushima.

Écologie
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