Islam ou islamisme ?

La place de la religion est au centre du débat avant l’élection le 23 octobre d’une assemblée constituante.

Thierry Brésillon  • 6 octobre 2011 abonné·es
Islam ou islamisme ?

Le 23 octobre, les Tunisiens vont voter pour désigner une assemblée constituante. L’enjeu : la définition du régime politique et du socle de valeurs, après un demi-siècle ­d’autocratie policière.

Crédité de 20 à 30 % des intentions de vote, le parti islamiste Ennahdha est annoncé comme le vainqueur probable du scrutin, tandis que les signes extérieurs de religiosité se font plus visibles. Sur Facebook et dans les débats publics, l’Association tunisienne des femmes démocrates, emblématique de l’élite moderniste et laïque, est l’objet d’attaques virulentes. Dans un autre registre, la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution a adopté, début juillet, sur proposition des partis nationalistes et d’Ennahdha, une clause interdisant la normalisation des relations avec « l’entité sioniste » .

La révolution tunisienne, démarrée sous la bannière de la liberté, va-t-elle tourner au repli identitaire sur des valeurs arabo-islamiques ? C’est l’opinion du Pôle démocratique moderniste, un collectif de partis et d’organisations constitué autour du mouvement Ettajdid (l’ancien parti communiste, converti à la social-démocratie depuis 1994) pour contrer le projet d’Ennahdha et défendre l’ancrage de la Tunisie dans des valeurs universelles. Une position loin de faire consensus.

« Le modèle de société n’est pas en jeu, et c’est la gauche laïciste qui a enflammé le débat identitaire » , accuse Khelil Ezzaouia, porte-parole du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), parti de centre-gauche. « Le rejet de l’islamisme a poussé une partie de la gauche à s’allier à Ben Ali » , rappelle-t-il.

« L’islamisme n’est pas une préoccupation pour la population, le problème principal est socio-économique. La priorité, pour la Constituante, c’est la rupture avec l’ancien régime, assure Hamma Hamami, secrétaire du Parti communiste des ouvriers tunisiens (PCOT). I l faut relativiser la force d’Ennahdha. La stratégie de diabolisation est contre-productive. »

Depuis qu’il a été légalisé le 1er mars dernier, le parti islamiste s’emploie à rassurer sur sa volonté de s’inscrire dans le cadre du pluralisme. « Le problème n’est pas l’islamisation ou la désislamisation de la société, c’est la démocratisation » , confirme Ajmi Ourimi, membre du bureau exécutif ­d’Ennahdha, après plus de seize ans passés dans les geôles de Ben Ali.

Pour comprendre ces convergences étonnantes, il faut revenir à une mobilisation lancée en 2005, dite « Mouvement du 18 octobre », qui rassemblait Ennahdha, le PCOT, le FDTL et le Parti démocrate progressiste (le PDP) autour de revendications démocratiques. « Cette expérience a été très importante, insiste Ajmi Ourimi. Nous avons bâti une relation de confiance avec les autres partis. Aujourd’hui, nous entendons conserver cette méthode fondée sur la concertation. La référence à l’identité arabo-musulmane de la Tunisie rassemble tous les partis centristes, poursuit-il. Tout le monde est d’accord pour exclure ce sujet du champ des problèmes. Seuls les extrêmes, les salafistes et les laïcistes veulent en faire un objet de surenchère. » « Avec le conflit israélo-palestinien, l’esprit de croisade de l’après-11 Septembre, la guerre en Irak, la population s’est sentie attaquée par l’Occident sur un plan identitaire » , analyse Hamma Hamami. Le harcèlement policier à l’égard des femmes voilées et des fidèles trop assidus à la mosquée a renforcé sous Ben Ali ce besoin de réaffirmer l’islamité.
Mais ce retour identitaire vient de plus loin encore. De la tentative de modernisation autoritaire menée par Habib Bourguiba. « Dans sa conception de l’identité tunisienne, il a voulu écarter l’islam et la tradition, dénonce Ajmi Ourimi. Nous sommes d’accord pour conserver les acquis des femmes, mais nous voulons réintégrer ­l’islam dans l’équation identitaire tunisienne. » La révolution tunisienne, processus commencé le 14 janvier 2011, n’a pas encore livré toute sa signification.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Comment Trump et les Gafam empêchent la résistance contre les expulsions forcées
Expulsion 20 octobre 2025 abonné·es

Comment Trump et les Gafam empêchent la résistance contre les expulsions forcées

L’application ICEBlock, qui permettait d’anticiper les raids des forces spéciales anti-immigration, a été fermée par Apple, en accord avec Donald Trump. Politis donne la parole à son développeur, en colère contre la trahison du géant américain.
Par Sarah Laurent
Budget record pour l’ICE : Trump déploie sa machine anti-immigration
Décryptage 20 octobre 2025

Budget record pour l’ICE : Trump déploie sa machine anti-immigration

Avec plus de 120 milliards de dollars prévus d’ici à 2029, l’agence de l’immigration américaine connaît une expansion sans précédent. Centres de détention, recrutements massifs et expulsions à la chaîne deviennent les piliers du programme Trump.
Par Maxime Sirvins
Gen Z : l’internationale contestataire
Monde 17 octobre 2025 abonné·es

Gen Z : l’internationale contestataire

Comme en 1968, une jeunesse mondiale se lève à nouveau, connectée, inventive et révoltée. De Rabat à Katmandou, de Lima à Manille, la « Gen Z » exprime sa colère contre la corruption, les inégalités et la destruction de l’environnement.
Par Olivier Doubre
GenZ 212 : la jeunesse marocaine en révolte
Jeunesse 17 octobre 2025 abonné·es

GenZ 212 : la jeunesse marocaine en révolte

Depuis deux semaines, le Maroc est secoué par un mouvement social inédit, porté par la jeunesse qui s’est dénommée « GenZ 212 », révoltée par l’effondrement des services publics. Confrontée à une répression brutale et à une réponse décevante du roi ce vendredi 10 octobre, le mouvement se situe à un tournant.
Par Embarek Foufa