Objectif moratoire

Réunis à Philadelphie en même temps que les grands pontes de l’industrie énergétique, les opposants à l’exploitation du gaz de schiste veulent passer à la vitesse supérieure. Le temps presse.

Xavier Frison  • 5 octobre 2011
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Objectif moratoire
© Photo : Xavier Frison

Dans The big Lebowski des frères Coen, un self-made man milliardaire homonyme du « Duc », le anti-héros du film, expurge toute sa morgue : « Avez-vous un emploi, monsieur Lebowski ? Ne me dites pas que vous cherchez un emploi dans cette tenue, un jour de semaine ? (…) Trouvez un travail, monsieur. Votre révolution est terminée, les fainéants ont perdu ! » Début septembre, à Philadelphie, un invité de la conférence régionale de l’industrie gazière a rejoué la scène sans le savoir. Derrière les vitres du Convention center, l’homme a eu ce truculent commentaire à la vue des manifestants anti-schiste présents dans la rue, relaté par le Philadelphia Inquirer : « Tous ces gens ont l’air de débarquer de Cuba. N’ont-ils donc pas de travail » ? Nous étions bien « un jour de semaine » et les militants n’avaient, de toute évidence, rien de mieux à faire.

Les Américains croisés au Texas et en Pennsylvanie n’avaient rien d’activistes aguerris. Changement d’ambiance ici. Autocollants, t-shirt à slogans, réseaux sociaux en ébullition et tracts à tout va : les deux jours de raout contre l’exploitation du gaz de schiste à Philadelphie rassemblent des habitués de la mobilisation citoyenne. C’est le noyau dur, la tête de pont d’une lutte encore embryonnaire à l’échelle des Etats-Unis, bien décidé à gâcher la convention de l’industrie du gaz de schiste organisée au même moment, presque au même endroit, au coeur de « la ville de l’amour fraternel ».

L’urgence, pour les militants, consiste à arracher un moratoire à Washington. Arrêter la saignée au plus vite avant que le plaie ne s’infecte définitivement. Mais d’abord, « comment a-t-on en pu en arriver là ? » , s’interroge Nadia Steinzor, de l’organisation Earthworks oil & gas accountability project. Simple : l’industrie du gaz et du pétrole est exemptée de l’essentiel des sept lois fédérales majeures sur l’environnement. Certains passe-droit datent de dizaines d’années, d’autres ont été acquis par la grâce de l’administration Bush, en 2005.

Sont concernées les lois sur l’eau potable, la qualité de l’air, la pollution de l’eau ou encore la loi sur la politique nationale sur l’environnement. Sans oublier la loi encadrant les compensations en cas de fuite de produits toxiques ou dangereux dans la nature, la loi obligeant les industriels à détailler la liste des produits toxiques qu’ils utilisent et la loi sur les déchets dangereux. En clair, l’industrie fait ce qu’elle veut, ou presque. Comme, en plus, elle a l’argent, beaucoup d’argent, les soutiens politiques ne manquent pas. Et les mirages de l’indépendance énergétique et de l’emploi font saliver à la Maison Blanche.

Alors, « il faut commencer par stopper le train , martèle Jerry Silberman, de l’organisation Protecting our waters. Et se battre pour un moratoire, par définition provisoire, chacun dans son Etat, son comté, sa ville, afin de l’imposer au niveau national. Ensuite seulement on pourra espérer arracher une interdiction définitive de la fracturation hydraulique et de l’exploitation du gaz de schiste. » D’autres actions périphériques doivent permettre de suspendre l’exploitation du gaz de schiste. Pour les opposants, qualifiés d’  « extrémistes » par le patron du géant énergétique Chesapeake, Aubrey McClendon, « la bataille de l’opinion reste à gagner » : selon un récent sondage, la majorité des Pennsylvaniens n’ont pas encore d’avis sur la question.

Mais, surtout, il faut frapper là où ça fait mal. « Entre la sécurité, la pollution et l’emploi, les gens pencheront toujours pour l’emploi , analyse Jerry Silberman. Mais si on neutralise les arguments économiques de l’industrie, tout le château de cartes tombe. Nous devons donc montrer que les emplois créés par l’industrie du gaz son finalement peu nombreux, non pérennes et destructeurs d’autres emplois, dans le tourisme, l’agriculture, etc. Et dire combien les énergies vertes seraient meilleures pour notre économie. »

En revanche, militer pour une hausse de la taxation des entreprises du gaz, comme le proposent certains, pourrait s’avérer contre-productif : « C’est une façon de légitimer cette industrie en disant, partageons-nous le gâteau . » La prochaine grande étape de la mobilisation met tout le monde d’accord : il devient urgent de créer une grande coalition nationale regroupant toutes les organisations, groupes locaux, réseaux sociaux, scientifiques et élus engagés dans la lutte contre le gaz de schiste. A sa barre, il faut une gueule, un nom, un symbole fédérateur et audible du plus grand nombre. Dans la salle qui accueille les speechs ** de clôture de la conférence citoyenne de Philadelphie, tous les têtes se tournent soudainement vers Josh Fox, le réalisateur de Gasland (voir notre interview). Il est des destins auxquels on n’échappe pas.

Écologie
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