Pierre Larrouturou : « Un moment crucial »

À quelques jours du G20 de Cannes organisé les 3 et 4 novembre, l’économiste présente dix propositions pour éviter un effondrement de l’économie. Explications.

Erwan Manac'h  • 26 octobre 2011
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Pierre Larrouturou : « Un moment crucial »
© Photo : [capture d'écran](http://www.poureviterleffondrement.fr/sort/date_end)

Contre l’ « inertie insupportable » des politiques et devant la gravité de la crise, Pierre Larrouturou, économiste et conseiller régional EELV d’Île-de-France, a souhaité prendre la parole. À quelques jours du G20, qui se tiendra à Cannes les 3 et 4 novembre, il lance un appel en ligne intitulé « Pour éviter l’effondrement ». Une initiative « citoyenne » , en son nom propre, pour tenter d’être entendu au-delà des appartenances partisanes.

Politis.fr : Pourquoi avez-vous pris cette initiative ?

Pierre Larrouturou : Il fallait dire l’extrême gravité de ce que nous vivons aujourd’hui. Nous sommes au bord du chaos, la crise sociale qui se dessine peut être beaucoup plus grave que celle qu’on a vécu en 2008. Je souhaitais aussi dire que les « indignés » ont raison : ce n’est pas aux peuples de payer. Aujourd’hui, 0,2% de la population a cumulé une fortune de 39 000 milliards alors qu’il faudrait 110 milliards pour sauver la Grèce.

C’est un problème de volonté politique. C’est pour cela que nous rappelons que Roosevelt, lorsqu’il est arrivé au pouvoir en 1932 aux États-Unis, a fait passer 15 réformes fondamentales sur les banques et la fiscalité en trois mois.

Peut-on espérer que des mesures soient adoptées lors du G20 à Cannes, les 3 et 4 novembre ?

Oui. Les conclusions de ce G20 ne sont pas écrites à l’avance, comme c’est parfois le cas avant les sommets. À Deauville en mai dernier, pas un mot n’a été échangé sur la crise financière. Aujourd’hui, tout le monde voit bien que c’est l’urgence. Le climat a complètement changé.

Nous sommes dans un moment crucial, cela peut basculer d’un côté ou de l’autre. Nous devons être nombreux pour présenter les solutions et mettre la pression sur ce G20 et la maintenir.

Parmi vos propositions, vous avancez des mesures contre le chômage. S’agit-il d’amortir le choc d’une récession mondiale, désormais inéluctable ?

Illustration - Pierre Larrouturou : « Un moment crucial »

Oui. Il faut regarder les choses en face. La dette totale américaine a atteint 250 % du PIB. La bulle immobilière en Chine a prit une ampleur encore jamais vue. Elle est aujourd’hui deux fois plus grosse que la bulle américaine avant qu’elle n’explose.

Les déséquilibres s’accumulent depuis 30 ans et l’élection aux États-Unis de Ronald Reagan en 1981. 30 ans de crise sociale et d’endettement ont amené de tels déséquilibres que ce serait se mentir de penser qu’on pourra éviter une crise.

La question est aujourd’hui de savoir si les conséquences de cette crise seront catastrophiques, pour notre société, notre cohésion sociale, nos services publics. Ou au contraire, si nous sommes capables d’anticiper la crise et d’en faire au contraire l’occasion de ressouder notre contrat social, de construire une Europe politique vraiment démocratique et de mettre des règles sociales et écologiques à la mondialisation.

Poureviterleffondrement.fr, le site de l’appel de Pierre Larrouturou.

Pourquoi les ‘indignés’ ont raison. Tribune de Pierre Larrouturou dans Le Monde, lundi 25 octobre.

Larrouturou.net, le blog.

Hélas, vu la bêtise de nos dirigeants, le poids des lobbies et le fatalisme de beaucoup de nos concitoyens qui ne croient plus en l’action collective, le plus probable est sans doute que cela finisse mal. La dernière fois que cela a mal fini [au lendemain de la crise de 1929] ça s’est soldé par 30 millions de morts [lors la Seconde Guerre mondiale], alors que certains avaient tiré la sonnette d’alarme.

Mais j’ai de l’espoir, nous voyons se lever un mouvement citoyen partout dans le monde pour porter des solutions. Vu le niveau d’intelligence des citoyens et l’apport d’internet, nous pouvons faire pression sur nos politiques qui ne sont pas à la hauteur.

Vous avez quitté le PS pour rejoindre EELV. Les socialistes sont-ils trop éloignés de vos analyses ?

Je ne supportais plus l’inertie et le discours perpétuel sur le retour de la croissance. Je me souviens en particulier d’un débat avec Dominique Strauss-Kahn, qui s’était moqué de moi à La Rochelle, alors que je montrais la dette américaine, qui grimpait de façon verticale. La gauche européenne et le PS étaient incapables de regarder cela et de prévenir la crise.

Les membres de la commission économie avaient les yeux rivés sur la croissance américaine. Ils ne voulaient pas s’apercevoir qu’elle était non seulement artificielle, mais intenable du point de vue écologique et qu’elle n’amenait pas le plein emploi. Du fait des gains de productivité et la multiplication des petits boulots, la durée réelle du travail était tombée à 33 heures aux États-Unis.

J’en avais donc marre du PS et de sa politique de « rustines », qui ne propose pas grand-chose d’autre que des emplois jeunes, en espérant que la croissance revienne par miracle. Je ne pouvais plus accepter cette inertie.


Les dix mesures de l’appel de Pierre Larrouturou :

-Séparer les banques de dépôt et les banques d’affaires pour protéger l’épargne des citoyens.

-Instaurer une taxe sur les transactions financières.

-Responsabiliser les financiers.

-Annuler les baisses d’impôts concédées depuis 20 ans.

-Lutter contre les paradis fiscaux. Sécuriser les salariés, lutter contre les licenciements.

-Sécuriser les chômeurs.

-Lutter contre les délocalisations.

-Signer à nouveau la Déclaration de Philadelphie, pour un sursaut de coopération et de justice sociale à l’échelle planétaire.

  • Convoquer un nouveau sommet de Bretton-Woods, pour « prendre acte que nous vivons la fin d’un modèle de développement ».
Économie
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