Sarkozy, Pernaut et Calvi : une interview de rêve…

Après l’intervention télévisuelle de Nicolas Sarkozy hier soir, la prestation des interviewers mérite autant de commentaires que les réponses de l’interviewé. Tout aurait pu être si différent…

Denis Sieffert  • 28 octobre 2011
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Sarkozy, Pernaut et Calvi : une interview de rêve…
© Photos : TF1-AFP

Soudain, Jean-Pierre Pernaut se redresse , et dans un sursaut de dignité professionnelle, interpelle Nicolas Sarkozy : « Monsieur le Président, faudrait pas nous prendre pour des caves. Si l’affaire Karachi n’a encore rien donné, dix-sept ans après, c’est en raison des multiples obstacles sur le chemin de la Justice : secret-défense, et lenteur du procureur, votre ami, dans la saisine d’un juge d’instruction sur le volet financier. Et puis, arrêtez de nous raconter des histoires. Oui, votre nom est cité dans cette affaire : n’avez-vous pas signé la création de la société écran luxembourgeoise Heine, destinée à maquiller les fameuses rétro-commissions qui auraient servi à financer la campagne de Balladur ? »

Pernaut s’est empourpré. Mais, une fois sa longue phrase lâchée comme en apnée, il reprend son souffle. A cet instant, il le sait : il vient de perdre la présentation du 13h de TF1, mais il a retrouvé une fierté de journalistes qui fait son boulot. Et, au fond, n’est-ce pas l’essentiel ? On rêve ? Oui, on rêve. Pernaut et Calvi ont été, jeudi soir, comme deux premiers communiants se lançant des coups d’œil furtifs : « Tu y vas ? » « Non, toi d’abord ! » .

Soyons magnanime (une minute) : il n’est jamais simple d’interviewer un président de la République. On se souvient des calvaires endurés par PPDA et Christine Ockrent face à Mitterrand, et de la façon — brutale — dont s’était achevé un entretien avec le même Mitterrand parce que des journalistes belges avaient eu l’audace de faire tout simplement leur métier. Mais il y a tout de même des limites à la soumission. Passer une heure et quart sans parler un seul instant du taux record de chômage atteint ce mois-ci, et tombé la veille, c’est une performance ! Il y a un moment où le problème, ce n’est plus tant l’interviewé que l’ interviewer… Quelques exemples.

Sarkozy fait l’apologie des agences de notation devant lesquelles nous n’aurions qu’à nous soumettre ; il se glorifie des taux d’intérêt avec lesquels la France emprunte sur les marchés (mieux que l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, mais tout de même, moins bien que l’Allemagne)…Nos confrères avalent la couleuvre. Pas un mot sur la Banque centrale européenne à laquelle les traités (Maastricht) nous interdit d’emprunter ; ce qui éviterait que nous soyons les otages des marchés et des agences de notation.

Sarkozy ressort son « travailler plus pour gagner plus » en vantant les heures supplémentaires… C’est ici, peut-être, qu’il fallait parler des 4 millions et demi de chômeurs. « Avec un tel chiffre, en réalité, Monsieur le Président, la société française travaille moins et gagne moins… » (Je rêve). Sarkozy accable les 35 heures et la retraite à 60 ans. La faute à 1981 et à 2000… On aurait peut-être pu lui parler de l’augmentation de la productivité. « Ce n’est pas parce qu’on travaille moins longtemps qu’on produit moins… » Au lieu de ça, nos deux interviewers sont restés bouche bée. Se regardant l’un l’autre.

Sarkozy affirme qu’il n’a pas augmenté les impôts, comme il s’y était engagé en 2007. En face, silence. Personne pour dire : « Peut-être que vous n’avez pas augmenté les impôts, Monsieur le Président, mais vous avez créé 35 taxes supplémentaires. Ce qui revient au même, sauf que ça vous a permis, avec le respect que je vous dois (très important !) Monsieur le Président, de cibler des populations qui n’appartiennent pas à votre clientèle électorale » . Personne. On se jette un dernier coup d’œil de pure détresse. Quelle souffrance ! « Tu y vas ? » « Non, toi d’abord ! » . Générique. Démaquillage. « Et en plus, l’ingrat nous a traités comme des chiens. T’as vu avec quel mépris il m’a répondu quand je lui ai demandé s’il était candidat pour 2012 ? » « Attention, voilà Guaino ! »

Politique
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