Un héros indélébile

L’artiste palestinien Naji al-Ali a été assassiné en 1987. Son personnage fétiche est toujours là.

Denis Sieffert  • 20 octobre 2011 abonné·es

Naji al-Ali est né dans un village de Galilée en 1936, année du début de la première grande révolte arabe contre l’occupation britannique de la Palestine, et contre le soutien que le Royaume-Uni apportait aux sionistes. Naji al-Ali fait partie de cette génération de Palestiniens qui ont été conditionnés par l’histoire. Hommes et femmes qui, par la force des choses, se sont identifiés à leur peuple.

En 1948, pour la famille de Naji, comme pour tant d’autres, c’est l’exil. Le gamin se retrouve dans un camp de réfugiés du Liban-Sud mais il étudiera à Tripoli, la ville du Nord. Il commence à exprimer sa révolte par le dessin ou par des pièces de théâtre. Après deux années d’un autre exil, en Arabie Saoudite, il rejoint l’Académie libanaise d’art. Étape éphémère dans un parcours tourmenté. En 1972, ses premiers dessins sont publiés dans une revue. Il part ensuite pour le Koweït, où il collabore à une revue d’opposition Al-Talya (l’Avant-Garde) . Il y crée en 1969 son personnage emblématique, Handala.

La suite est une vie d’errance : Liban en pleine guerre civile, Koweït de nouveau puis Londres. Naji est abattu dans la capitale anglaise le 22 juillet 1987, alors qu’il se rend dans les locaux du journal qui l’emploie. Ses assassins n’ont jamais été identifiés.

Résistant à toutes les oppressions, coloniale d’abord, puis celles qui frappent ou bâillonnent au cœur du monde arabe ou du mouvement palestinien, Naji fut un insoumis. Ce qui lui a valu d’être une cible. Pourtant, son arme n’a jamais été autre chose que le crayon ou la plume traçant d’une encre forte une silhouette qui est son chef-d’œuvre : Handala.

« Handala », « amer comme la coloquinte » , observe les événements. Petit bonhomme pensif, passif, contemplatif, à la tête ronde comme une bille, hérissée de quelques cheveux, il apparaît toujours de dos, bras croisés comme ceux d’un badaud. Mais le spectacle qu’il contemple n’est jamais une scène de la vie ordinaire. À moins que ce soit précisément la vie ordinaire d’un Palestinien. C’est le film d’une tragédie sans fin. Une histoire de barbelés, de barreaux de prison, de bombardements, de colonisation, d’Intifada, de guerre du Liban…

Handala, lui, ne bouge jamais. Il est à la fois le désespoir et la force inébranlable d’un peuple indestructible. C’est un héros palestinien qui vit encore dans les graffitis et les tags de Khan Younis, comme en témoignent les photos de Joss Dray publiées en fin d’ouvrage. Handala, c’est l’innocence inquiète et la conscience d’un monde sans conscience. Un reproche muet.
Mohammed al-Asaad a eu la belle idée de publier ce Livre de Handala, dessins de résistance de Naji al-Ali . Vingt-quatre ans après la mort de l’artiste, beaucoup de lecteurs français découvriront son travail. Dans sa postface, Alain Gresh imagine le sourire de Naji, «  quelque part là-haut, assis sur un nuage » devant le spectacle des révolutions arabes. Car Naji a aussi fustigé les dictatures, celles-là mêmes qui s’effondrent aujourd’hui. On aurait aimé voir Handala place Tahir.

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