Danielle Mitterrand : une grande conscience de gauche

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 24 novembre 2011 abonné·es

Le statut de « femme du Président » reste dans l’indéfinition. Et c’est finalement très bien ainsi. Chacune des épouses des six présidents de la Ve République a façonné cette fonction très officieuse selon sa personnalité. De l’effacement bigot de la dame patronnesse à l’ostentation « pipole » de la star de magazine. Dans cette galerie d’archétypes, Danielle Mitterrand est un cas à part. Femme aimante et même admiratrice de son mari, elle ne fut jamais l’ombre portée de François Mitterrand. Elle n’a jamais cessé d’exister par elle-même, et de défendre sur la place publique ses idées, qui n’étaient pas toujours, loin s’en faut, les mêmes que celles de son mari. Plus « à gauche » que lui, sans s’opposer, mais sur les terrains qu’elle s’était choisis, elle aura été, elle aussi, dans l’action.

Femme d’action, elle le fut dès son plus jeune âge. Née le 29 octobre 1924 à Verdun (Meuse), Danielle Gouze était la fille d’un directeur d’école – révoqué en 1940 par Vichy pour ne pas avoir dénoncé les élèves juifs de son collège – et d’une institutrice, tous deux militants de la SFIO. Elle rejoint le maquis à 17 ans comme infirmière bénévole, et sera l’une des plus jeunes médaillées de la Résistance. C’est par cet engagement qu’elle rencontre François Mitterrand à Cluny (Saône-et-Loire), dans la maison familiale, où s’était réfugié son père. Celui qui était alors le capitaine Morland – le pseudonyme de résistant du futur président de la République – était recherché par la Gestapo. Elle l’épouse le 27 octobre 1944, deux jours avant de souffler ses 20 bougies.

À l’Élysée, à partir de 1981, elle a été une Première dame discrète et souriante, mais a su assez vite utiliser cette tribune que lui offrait sa place d’épouse du chef de l’État pour se consacrer à la défense des droits de l’homme. En 1986, elle crée la Fondation France Libertés. Et se lance dans la défense de causes dites « tiers-mondistes » – soutien aux peuples kurde et tibétain, à Cuba, au partage équitable de l’eau ou dénonciation de l’esclavagisme – avec une ardeur qui lui vaudra plus d’une fois de heurter la diplomatie.

Pour n’évoquer ici qu’un seul souvenir des nombreuses circonstances où nous l’avons croisée, Danielle Mitterrand était présente lors d’une des toutes premières réunions fondatrices d’Attac, fin 1997. À une époque où l’idée d’une taxation sur les transactions financières était encore très marginale, et jugée très subversive. Les visites rendues au sous-commandant Marcos et aux Zapatistes du Chiapas n’ont jamais été une pose. Elles témoignaient d’un engagement profond dans les combats pour l’égalité Nord-Sud. Danielle Mitterrand fut une figure centrale du mouvement altermondialiste. Elle ne s’inquiétait pas de déplaire aux élites politiques et financières. Sa sympathie marquée pour Fidel Castro, qu’elle embrassa sur les marches de l’Élysée lors de la visite du chef d’État cubain, en 1995, fit scandale dans le landerneau de la politique française. Elle n’en avait cure. Elle était comme en perpétuelle et discrète dissidence. En 1989, elle mécontente la Chine en recevant le dalaï-lama, chef spirituel des Tibétains. La Turquie, l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’Argentin des généraux ont tour à tour protesté contre ses prises de position.

Contrairement à ce qui a pu être dit, Danielle Mitterrand n’était pas une candide en politique. C’est sans doute pour cela qu’elle comprenait et acceptait le froid réalisme de son mari. Mais elle s’assignait un autre rôle, libre de toute fonction officielle, lié à aucune real politik. Elle fut ce qu’on appelle une conscience. Une conscience de gauche, si cela n’est pas un pléonasme. Ces dernières années, elle s’était éloignée du PS, jugeant en 2007 que ses dirigeants n’avaient « pas la fibre socialiste » . Et si en 2010 elle avait accepté d’honorer l’invitation des jeunes socialistes à La Rochelle, c’était pour leur présenter la dernière cause de sa Fondation : les porteurs d’eau. Mais elle avait refusé d’apparaître aux côtés des éléphants du parti. Quelques jours plus tard, elle participait aux côtés de Jean-Luc Mélenchon à un débat sur l’eau organisé sur le stand du Parti de gauche à la Fête de l’Humanité. Après s’être affichée une semaine plus tôt entre lui et Marie-George Buffet au premier rang de la grande manifestation contre la xénophobie d’État.

Malgré une santé fragile, Danielle Mitterrand a poursuivi ses combats à la tête de sa Fondation, à laquelle elle donna ses dernières forces.

Société
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