Faillite de la France, super arnaque

Cofondateur du journal en ligne Mediapart, Laurent Mauduit met en perspective dix ans de politique fiscale et l’endettement de la France.

Laurent Mauduit  • 10 novembre 2011 abonné·es

Le recul de la croissance oblige-t-il la France à se serrer la ceinture ?
On l’a vu, c’est l’argument massue du gouvernement : puisque la croissance fléchit et compromet les engagements de la France en matière de réduction de déficits publics (3 % du PIB en 2013), il faut prendre des mesures immédiates de correction.

Mais c’est une imposture, pour de nombreuses raisons. D’abord, il faut bien admettre que, quand il s’agit de socialiser les pertes et de privatiser les profits, le gouvernement se moque des déficits comme de sa première chemise. Dans ce cas-là, il jette l’argent par les fenêtres. À preuve, pour sauver la banque franco-belge Dexia, produit d’une sulfureuse et calamiteuse privatisation, la Belgique et la France – qui, selon François Fillon, est au bord de la banqueroute – ont mis sur la table, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la somme de 10 milliards d’euros en cash. Soit plus que le nouveau plan d’austérité pour l’année 2012. Sans parler des 90 milliards de prêts pourris qui ont été pris en garantie…

On touche ici du doigt l’injustice scandaleuse du plan : les banques, dont Dexia, qui ont alimenté de folles spéculations depuis 2007, ont toujours bénéficié de la plus totale sollicitude du gouvernement ; et, aujourd’hui, ce sont pour l’essentiel les salariés qui sont invités à payer les pots cassés.
Autre preuve que l’argument du fléchissement de la croissance est une imposture : le gouvernement dispose de nombreux moyens pour faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État sans mettre les Français au piquet. L’exemple de l’Allemagne l’atteste : dans le courant du mois d’août, elle a en effet conclu un accord avec la Suisse au terme duquel elle va recevoir environ 20 milliards d’euros en dédommagement de l’évasion fiscale dont elle a pâti. Cet accord entre Berlin et Berne autorise les contribuables allemands à placer leur fortune en Suisse, à condition qu’ils versent une taxe de 26,375 % sur leurs rendements en capitaux. Ce montant sera prélevé à la source puis reversé au fisc allemand, afin de garantir l’anonymat de la procédure. Il s’agit donc d’un système de prélèvement libératoire.

<img5838|center> Cet article est publié dans le cadre d’un partenariat entre le site d’information Mediapart et Politis. À lire dans son intégralité sur mediapart.fr.
La France, elle, refuse le principe d’un tel accord. Avec un argument qui est honorable : on ne transige pas avec la fraude fiscale. Fort bien ! Mais le scandaleux paradoxe, c’est que la lutte contre l’évasion fiscale – dont quelques-uns des grands financiers de l’UMP ont été les champions, des Bettencourt aux Wildenstein – n’a pourtant pas avancé d’un pouce.
En clair, si la France était vraiment en difficulté financière – ce qui n’est pas le cas, nous allons le voir –, il y aurait de nombreuses pistes possibles à explorer avant d’annoncer une nouvelle punition sociale.

La France est-elle au bord de la faillite ? Là encore, cette dramatisation à laquelle procèdent Nicolas Sarkozy et François Fillon a une raison cachée, qu’il faut savoir décrypter. Car elle vise à faire croire aux Français qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens, et doivent accepter de faire des sacrifices, sauf à laisser derrière eux des dettes que leurs enfants devront éponger. C’est une dramatisation dans un souci de culpabilisation. Or, il est mensonger de dire que les déficits proviennent de dépenses publiques exorbitantes. S’il y a d’abord une raison qui explique les déficits publics français, et donc l’endettement, c’est la course folle aux baisses d’impôts qui a eu lieu depuis deux décennies, et qui s’est accélérée depuis 2007.

Rendu public le 20 mai 2010, un rapport rédigé par deux hauts fonctionnaires et se concentrant seulement sur les dix dernières années en donne une exacte mesure [[(1) lire
http://www.mediapart.fr/journal/france/210710/ces-dix-annees-de-cadeaux-fiscaux-qui-ont-ruine-la-france]]. Il s’agit du Rapport sur la situation des finances publiques, dont les auteurs sont Jean-Philippe Cotis, l’actuel directeur général de l’Insee, et son prédécesseur, Paul Champsaur (rapport consultable sur mediapart.fr). À destination du Premier ministre, ce document faisait en particulier ce constat : « Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2002 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008. Si la législation était restée celle de 1999, le taux de prélèvements obligatoires serait passé de 44,3 % en 1999 à 45,3 % en 2008. En pratique, après réduction des prélèvements, ce taux a été ramené à 42,5 %. À titre d’illustration, en l’absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’est en réalité, générant ainsi une économie annuelle de charges d’intérêt de 0,5 point de PIB. »
Le rapport n’en dit pas plus… Mais le chiffre laisse pantois : la dette publique serait donc de 20 points de PIB inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui sans ces baisses d’impôts décidées depuis dix ans.

Le chiffre mérite un temps de réflexion. Près de 20 points de PIB en moins ! Autrement dit – et ce sont des experts qui travaillent pour le gouvernement qui le suggèrent –, la France, malgré la crise, serait presque encore en conformité avec les sacro-saints critères de Maastricht si ces baisses d’impôts n’étaient pas intervenues, et notamment le critère européen qui fait obligation à ce que la dette d’un État ne dépasse pas 60 % de sa richesse nationale.
Concrètement, sans ces baisses d’impôts, la France aurait certes crevé ce plafond, mais dans des proportions raisonnables. Juste un chouïa…
Un autre document, publié en prévision du traditionnel Débat d’orientation budgétaire (DOB), qui s’est tenu le 6 juillet 2010 à l’Assemblée nationale, vient confirmer ce constat. Et celui-là aussi est ­au-dessus de tout soupçon puisque son auteur est Gilles Carrez, le rapporteur général (UMP) de l’Assemblée nationale.

Dans ce Rapport d’information (consultable sur mediapart.fr), on fait en effet des découvertes stupéfiantes. « Entre 2000 et 2009, le budget général de l’État aurait perdu entre 101,2 – 5,3 % de PIB – et 119,3 milliards d’euros – 6,2 % de PIB – de recettes fiscales, environ les deux tiers étant dus au coût net des mesures nouvelles – les “baisses d’impôts” – et le tiers restant à des transferts de recettes aux autres administrations publiques – Sécurité sociale et collectivités territoriales principalement » , peut-on y lire.

Cette évaluation, qui recoupe celle du rapport Cotis-Champsaur, vient confirmer ce que personne ne veut aujourd’hui admettre : la France serait, malgré la crise, presque dans les clous de Maastricht, ou peut-être même totalement, si ces baisses d’impôts inconsidérées n’étaient pas intervenues. Les chiffres sont là, incontestables ! Respectant ses engagements européens, la France ferait figure de bonne élève de la zone euro et n’aurait pas à envisager un plan d’austérité.

Mais l’intérêt de ce rapport écrit (avec un indéniable courage pour un membre de la majorité UMP) par Gilles Carrez, c’est qu’il s’applique aussi à évaluer ceux qui ont été les principaux bénéficiaires de ces 77,7 milliards d’euros de baisses d’impôts depuis dix ans. Et, là encore, la réponse est très éclairante : « La moitié des allégements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l’impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s’établit en effet à environ 2 % de PIB, contre 0,6 % de PIB pour la TVA et 0,5 % de PIB pour l’impôt sur les sociétés (IS). »

Le rapport relève ainsi que, de 2000 à 2009, le montant total des baisses de l’impôt sur le revenu a atteint de 32,9 à 41,6 milliards d’euros. Cette indication est évidemment majeure. Car, comme ne sont assujettis à l’impôt sur le revenu que les 50 % des contribuables les plus fortunés, cela veut donc dire que l’essentiel des baisses d’impôts (41,6 milliards d’euros sur 77,7 milliards d’euros) a profité à ces ménages les plus favorisés sous la forme de baisses de l’impôt sur le revenu.

Bref, la France n’est pas au bord de la faillite. À cause de cette politique irresponsable de baisse des impôts, à cause du dynamitage de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des droits de succession, jusqu’au durcissement du bouclier fiscal, la droite a seulement trop choyé les plus grande fortunes et les revenus élevés. Dans des proportions telles et pendant tellement d’années que les finances publiques ont fini par en être ébranlées.


Les principales mesures du « plan Fillon »

Au total, le gouvernement annonce un « effort supplémentaire » de 17,4 milliards d’euros sur la période 2012-2016, dont 7 milliards dès 2012.
TVA : relèvement du taux réduit de 5,5 % à un taux intermédiaire de 7 % « sur tous les produits et les services, à l’exception des produits de première nécessité, notamment l’alimentation » . Gain estimé à 1,8 milliard en 2012. Niches fiscales : coups de rabot à hauteur de 2,6 milliards d’ici à 2016.

Retraites : l’application du passage de l’âge légal de départ à 62 ans est avancée d’un an (2017 au lieu de 2018). Économie estimée à 1,3 milliard en 2016. Dépenses de l’État : économie supplémentaire attendue de 500 millions d’euros en 2012. Assurance-maladie : progression des dépenses ramenée à 2,5 % à partir de 2012 au lieu de 2,8 % prévus. Prestations sociales : revalorisation hors minima sociaux et revenus de remplacement gelée à 1 % pour 2012-2013. Économie escomptée : 500 millions. Grandes entreprises : majoration de 5 % en 2012 et en 2013 de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros, pour un rendement espéré de 1,1 milliard.

Impôt sur le revenu : gel du barème en 2012 et en 2013 au niveau de 2011, et jusqu’au retour en dessous de 3 % de déficit public. Le barème de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des tarifs et abattements en matière de droits de succession et de donation est également gelé. Rendement : 3,4 milliards d’euros dont 1,7 milliard en 2012.
Avec AFP

Économie
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