Le Tableau, de Jean-François Laguionie : pour sortir du cadre

Le Tableau, de Jean-François Laguionie : humour et poésie.

Ingrid Merckx  • 24 novembre 2011 abonné·es

Pénétrer dans un tableau et en sortir. La scène prend de la profondeur, de la hauteur, s’anime, les personnages se mettent à bouger, parler, vivre. La question restant celle des limites imposées : les personnages d’un tableau sont-ils condamnés aux frontières de leur monde ou peuvent-ils s’aventurer au-delà et rapporter de quoi modifier le leur ? C’est à cette réflexion qu’invite Jean-François Laguionie ( le Château des singes, l’Île de Black Mor ) dans son nouveau long-métrage d’animation, le Tableau .

L’idée n’est pas nouvelle. Dans la bande dessinée le Fantôme espagnol , de Willy Vandersteen (1983), Bob et Bobette pénétraient dans une toile de Bruegel l’Ancien. Dans la Rose pourpre du Caire , de Woody Allen, Cecilia-Mia Farrow se fait enlever par le héros du film qu’elle regarde. Dans le Roi et l’Oiseau , de Paul Grimault (1980), la Bergère et le Petit Ramoneur s’évadent de tableaux dans les appartements royaux… Dans The Truman Show , le héros passe de l’autre côté du décor de la fausse existence qu’on lui a fabriquée. À chaque fois, ce ressort fantastique questionne l’autonomie des personnages et la responsabilité du créateur.

Dans le Tableau , la zone de passage est figurée par une ­membrane poreuse. Lola, jeune fille indépendante, est à la fois chœur antique et personnage principal. Son monde est déchiré par une lutte des classes inédite : les Toupins, aristos méprisants et bariolés que le peintre s’est donné le mal de terminer, rejettent les Pasfinis parce qu’il leur manque des couleurs, et asservissent les Reufs, silhouettes juste crayonnées.

Comme souvent, deux amoureux d’extractions différentes décident d’inverser le cours de choses. Lola Pasfini, qui s’en moque, part avec un Toupin amoureux et un Reuf à la recherche du Peintre perdu. Parvenus à la limite du tableau, ils tombent dans l’atelier de peinture, où se trouvent d’autres toiles abandonnées.

L’un des intérêts du jeu de passerelles qui s’enclenche consiste à multiplier des propositions graphiques centrées sur la peinture des années 1920-1930, avec des clins d’œil à Gauguin, Matisse et Derain pour la palette, Gaudi pour les décors, Toulouse-Lautrec pour le peintre. Elles font aussi contraster parties peintes, dessinées, réalistes (images de synthèse), avec la « réalité » (prises de vue réelles). Visuellement réjouissant, le film est un encouragement simple, non dénué d’humour et de poésie, à sortir du cadre. Sinon, suggéré par la représentation tragique de personnages coincés dans leur univers, on est condamné à rejouer infiniment la même scène.

Cinéma
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