Oiseaux pas sages

Les Ogres de Barback achèvent leur tournée 2011 en fanfare, à l’Olympia. Leur dernier spectacle mêle musique, acrobaties, video et danse dans un décor mobile qui mime une fabrique à chansons. Impressions.

Ingrid Merckx  • 8 décembre 2011
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Oiseaux pas sages

Alice, Mathilde, Sam et Fred… Les Ogres sont tous les quatre sur la scène de l’Olympia. Au premier plan, rassemblés comme derrière un comptoir. Autour et derrière, des ombres s’agitent… « Il faut que je vous raconte cette histoire en forme de conte » , commence Fred au micro. Les premiers mots du premier titre de leur dernier album Comment je suis devenu voyageur ouvre ce concert de fin de tournée 2011. Normal, le thème de ce qui s’annonce comme un spectacle « total » (musique mais acrobaties, vidéos, danse, mise en scène…) est : la fabrique à chansons.

« On se retrouve dans des endroits un peu comme celui-là. On a eu envie de vous montrer l’envers du décor » , explique Fred en pointant, derrière lui, deux structures métalliques qui forment un angle. Comme deux petites estrades-studio ou chambres, avec des instruments posés ou suspendus, et encadrés par deux échelles qui promettent des passages en hauteur, sur des petits toits. Elaborées par les décorateurs du Royal de Luxe, ces deux structures de style « industriel » sont modulables : elles peuvent s’écarter ou se couvrir d’un drap qui servira d’écran ou de voile laissant apparaître un autre plan par transparence. Au-dessus, planent deux oiseaux, deux oies semble-t-il, comme on en trouve parfois dans les chambres d’enfants… « Moi qui croyais qu’il était sage d’être un oiseau de passage » .

Les Ogres enchaînent avec « Le Daron », sur un rythme très rock renforcé par les jeux de lumière. La scène se teinte de rouge vif, s’électrise, la salle aussi. La température grimpe et ne baissera pas pendant deux heures et demie. Les Ogres à perdre haleine. « Nous sommes devenus un groupe de vieux » , confiait Fred en entretien dans Politis . Vraiment ? Les Ogres ont pris du poids, du volume, de l’assurance. Fini la timidité touchante des débuts, resserrée sur leurs instruments. Ils occupent l’espace, aussi large soit-il, changent d’instruments plusieurs fois par titre, ce qui nécessite pas mal de déplacements, mais aussi de décor et d’atmosphère à chaque chanson.

Ils alternent chansons récentes et anciennes doublés par des fans qui vont parfois, zélés, jusqu’à devancer les paroles. « Sait-on jamais où les vents nous mènent ? / Moi ils sont venus, me mettre un matin… » (« Contes, vents et marées »). Dans la fosse, tout le monde est debout, les bras en l’air. À l’étage, les fans se sont regroupés sur les côtés, parfois debout, une bière à la main, et n’hésitent pas à interpeller les musiciens. Dans le « ventre mou » de la salle, sur les sièges, les générations se mêlent : mômes de trois ou cinq ans portant des casques pour atténuer le volume, des papis et mamies, des trentenaires et quarantenaires peu démonstratifs mais attentifs.

« Le public est-il toujours aussi mou que d’habitude à l’Olympia ? » , vérifie Fred, assis devant une petite table à droite de la scène. Il lit une lettre de fan, activité qui jalonnera le spectacle, justifiant des pauses courtes : « C’est vrai que votre père est pianiste, votre mère instit’, votre grand-mère Arménienne ? » Ou une transition. « Chanson de sexe », se réjouit-il en entonnant « Entre tes Saints ». Sur « Les Voyageurs », la scène s’illumine, solaire : « Ils ont le ciel pour lit et la terre pour travail / Une paire de mains pour outils / qui jour à jour les ravitaillent… » Puis, un acrobate tombe du ciel, dans une salopette grise qu’il quittera (cris de filles) pour grimper et virevolter en pantalon blanc entre deux draps de la même teinte. Les lettres qui pleuvent finissent par former un tapis de papiers épars.

Fred entame un medley de ritournelles à l’accordéon, comme s’il cherchait le début de la chanson suivante sans trouver la bonne. Les thèmes sont reconnaissables, le public glousse. Mathilde (ou Alice ?) l’engueule. Quand ils démarrent « Dans une rue de Panam » , la salle hurle. Ils sont rejoints par Christian et Grégoire des Têtes Raides pour quelques titres dont « Cosette ». Vertige : quand est-ce qu’ils faisaient leurs premières parties déjà ? Puis par Akli D, invité sur l’album. Mais quand les deux chanteurs des Hurlements de Léo apparaissent, c’est via une vidéo diffusant des images de la tournée Latcho Drom (« Un Air deux familles »). Les Ogres s’intercalent entre les écrans pour un boeuf original, jouant des décalages de lieux et de temps. Superposants souvenirs et plans, « Jojo » chamboule.

Humour bien vu pour « Elle fait du zèle (pauvre France) » : Fredo mime un policticard à la tribune qu’un jeune excité tente de déloger. « En néologue pro / J’ai l’expression libre et moi / Je dis que chercher du boulot / C’est un concept bourgeois » . Mais c’est le politicard qui se fait embarquer cependant que le jeune excité bombe un gros A en fond de scène. Extinction des feux respectueuse pour ces anarchos fleuris qui assument naïveté, lyrisme, utopies et bêtises…

Explosion de joie dans la salle pour l’hommage « aux grands frangins », Mano Negra et Beruriers, les Ogres se reprenant eux-mêmes avec des variantes hip hop et électro. Un couple de danseurs les accompagnent. Les quatre frangins frangines descendent enfin faire un tour de pistes au milieu de la foule sans cesser de jouer. C’est leur salut, leur signature. Toujours eux-mêmes mais toujours un peu neufs les Ogres, creusant leur sillon tout en se renouvelant avec une énergie qui va crescendo au fil des ans .

Musique
Temps de lecture : 5 minutes
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