Sarkozy, la fuite en avant

A la veille du sommet européen, le président français et la chancelière allemande choisissent d’institutionnaliser la perte de souveraineté budgétaire pour les États de la zone euro, et d’aller vers toujours plus d’austérité.

Michel Soudais  • 8 décembre 2011 abonné·es

Un nouveau traité européen instituant une règle d’or « renforcée » et autorisant des « sanctions automatiques » et « immédiates » contre les États membres de l’Union européenne dont le déficit dépasserait les 3 % du produit intérieur brut (PIB). Voilà, en résumé, ce que Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont décidé, lundi, de proposer à l’ensemble de leurs partenaires européens, réunis cette fin de semaine à Bruxelles.

Plutôt bien accueillie dans certaines capitales européennes, la proposition franco-allemande est jugée assez sévèrement en France. À l’exception de l’UMP, ce nouveau traité est jugé incapable de répondre à l’urgence d’une crise financière qui menace de faire voler en éclats l’euro et la construction européenne. Il est perçu de surcroît comme dangereux puisqu’il vise à institutionnaliser une politique d’austérité et des remèdes qui ont échoué en Grèce.

Son annonce n’a pas non plus convaincu les agences de notation. Quelques heures à peine après cette conférence de presse, Standard & Poor’s faisait savoir que la plupart des pays de la zone euro pourraient voir leur note abaissée à très court terme en raison d’une aggravation de la crise de la dette que le sommet européen prévu jeudi et vendredi est censé résoudre. L’agence de notation a précisé avoir mis sous surveillance, avec implication négative, les 15 pays de la zone euro qui ne l’étaient pas encore, en raison de l’accroissement des tensions systémiques observées au cours des dernières semaines.

Avec une pression particulière sur la France : Standard & Poor’s précise que celle-ci pourrait être dégradée de deux crans, contre un seulement pour les cinq autres pays AAA de la zone euro. En réponse, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont publié un communiqué commun rappelant que leurs propositions « permettront de renforcer la gouvernance de la zone euro afin de rétablir la stabilité, la compétitivité et la croissance » . Et confirmant aussi « leur volonté de prendre toutes les décisions nécessaires, en lien avec leurs partenaires et les institutions européennes, pour assurer la stabilité de la zone euro » .

Rassurer les marchés financiers. Tel semble bien être l’unique objectif de Nicolas Sarkozy. D’où la dramatisation orchestrée autour d’un énième sommet franco-allemand, et le volontarisme affiché. L’adoption du nouveau traité, a-t-il promis, se fera « à marche forcée pour rétablir la confiance » , quitte à ne concerner que les 17 pays de la zone euro, et devra être prêt… « en mars » .

Toujours dans ce but, le président de la République ainsi que la chancelière allemande ont renoncé à faire payer aux banques une partie des difficultés d’un État. « Ce qui s’est passé en Grèce ne se reproduira pas » , a affirmé M. Sarkozy. Le secteur privé ne participera plus au sauvetage des pays, comme les deux dirigeants l’avaient exigé en octobre 2010 à Deauville. Les restructurations de dette se feront désormais selon les procédures du Fonds monétaire international (FMI), qui excluent de facto les défauts de paiement.
Pour empêcher tout « laxisme » , M. Sarkozy a renoncé à toute mutualisation de la dette. Après avoir plaidé en faveur d’euro-obligations (eurobonds) qui auraient permis une telle solidarité, il soutient que ce serait pour les États les moins vertueux un moyen de relâcher leur discipline budgétaire et d’en faire payer le prix aux plus vertueux. Ces euro-obligations « ne sont en aucun cas une solution à la crise » , a-t-il assuré en se ralliant à la position de Mme Merkel.

Pareillement, il renonce à demander ouvertement à la Banque centrale européenne de s’ériger en rempart contre la propagation de la crise, en achetant massivement de la dette des pays en difficulté. Prêteuse en dernier ressort, la BCE aurait endossé ainsi un rôle similaire à celui de la Réserve fédérale américaine, ce à quoi l’Allemagne s’est toujours opposée farouchement. Signe de ce revirement : le chef de l’État a fait part lundi de sa « confiance » dans la BCE et les principes « d’indépendance » de l’institut de Francfort, et s’est engagé à s’abstenir « de tout commentaire positif ou négatif sur son action » .

Mais c’est encore sur la souveraineté budgétaire des gouvernements et le contrôle démocratique des peuples que l’embardée est la plus spectaculaire. C’est en effet à des juges, et non aux peuples, que le futur traité envisage de confier le soin d’apprécier les politiques budgétaires conduites au regard de critères néolibéraux gravés dans le marbre de ce même texte. Lequel ne sera pas soumis à l’approbation des électeurs. Le 1er décembre, à Toulon, M. Sarkozy annonçait encore que la France militait avec l’Allemagne « pour un nouveau traité » qui se traduirait par « plus de discipline, plus de solidarité, plus de responsabilité assumées devant les peuples » . La promesse n’aura duré que quatre jours.

Dans la capitale varoise, devant une foule de supporters UMP acheminés dans des autocars affrétés par le parti présidentiel, M. Sarkozy n’avait certes rien annoncé, hormis cette rencontre avec son homologue allemand et un fumeux sommet social pour l’emploi en janvier. Ironie, deux ans, jour pour jour, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et sa volonté proclamée de « refonder l’Europe » , traité qu’il avait imposé et dont il se disait le maître d’œuvre, M. Sarkozy en a décrit lui-même le facheux résultat : une Europe peu politique et pas assez démocratique, pire, une Europe « ouverte à tous les vents » sans exigences de « réciprocité de la part de ses concurrents » , qui « tolère le dumping social et fiscal entre ses États membres » , et laisse « ses groupes industriels à la merci de tous les prédateurs du monde »

Ceux qui avaient refusé de voter le traité constitutionnel européen avaient donc raison sur toute la ligne. Les propos présidentiels de Toulon ne visaient qu’à endormir. Loin de tirer les conséquences de son échec, M. Sarkozy opte résolument pour la fuite en avant sur le dos des Français.

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