Le printemps attendra

En dépit de l’immense manifestation du 24 décembre, l’opposition au « tsar » Poutine est trop diverse et inorganisée pour offrir une alternative crédible à court terme.

Claude-Marie Vadrot  • 5 janvier 2012 abonné·es

Quand Vladimir Poutine déclare que l’opposition qui a défilé le 24 décembre en Russie n’a ni programme, ni cohérence, ni responsable, il n’a malheureusement pas tort. Renseigné par les espions du FSB, l’ancien colonel du KGB soviétique n’est pas vraiment menacé : le désamour et les slogans anticorruption qui ont jeté quelques centaines de milliers de personnes dans les rues des grandes villes depuis le scrutin législatif du 4 décembre n’offrent ni politique de rechange ni majorité crédible à moyen terme. La petite opposition démocratique pourchassée par le régime n’a même pas participé aux manifestations.

Une partie non négligeable de la classe moyenne a défilé, mais elle exprimait seulement son désir de profiter un peu des richesses qui submergent les villes les plus importantes, de Saint-Pétersbourg à Khabarovsk, en passant par Moscou, qui monopolise 80 % des capitaux et des réussites financières du pays.
Cette colère hivernale en Russie n’a guère de points communs avec les révoltes dans les pays arabes, en dehors d’une référence désormais convenue à Internet. Le jeune héros de cette Russie citadine et râleuse n’a d’ailleurs aucun autre programme à offrir : Alexeï Navalny, blogueur de 35 ans qui dénonce le « parti des voleurs et des escrocs » , navigue depuis quelques années entre le soutien au nationalisme le plus réactionnaire et une revendication démocratique. Il n’a que son talent oratoire démagogique comme viatique, à quoi s’ajoute une auréole de martyr après quinze jours de prison en décembre. Il se présentera probablement pour la forme à l’élection présidentielle du 4 mars 2012, contre un tsar Poutine toujours révéré dans les immenses espaces ruraux de son empire ainsi que par la jeunesse dorée de Moscou.

Dans la campagne de Pereslav, petite ville à une centaine de kilomètres au nord de Moscou, toutes les maisons n’ont pas encore l’eau courante et toutes les routes ne sont pas recouvertes d’asphalte. Ici, une large partie de la population croit que le chef de l’État n’est pas au courant de cette situation précaire, et rend grâce à la récente et modeste augmentation des retraites. Exactement comme au temps des tsars, pendant les XVIIIe et XIXe siècles. Dans le krasni ugol (« le coin sacré ») des isbas, veillé par une bougie, le portrait de Poutine voisine souvent avec celui de saint Serge, protecteur de la Russie. Les champs en friche témoignent du désastre agricole en cours. La Russie rurale ne s’éveille à l’actualité que pour louer les déclarations nationalistes, le retour à la « vraie » religion et la condamnation de la pornographie occidentale vue à la télévision.
La manifestation du 24 décembre, qui a rassemblé des dizaines de milliers de personnes avenue Sakharov, à Moscou, mêlait des nationalistes, comme les adeptes d’Edouard Limonov et de son miniparti ­national-bolchevique, de jeunes bourgeois apolitiques et les ­militants du Parti communiste recréé en 1992 par Guennadi Ziouganov, qui rêve à la restauration de l’Union soviétique. Son parti, arrivé aux législatives en deuxième position après Russie unie, le parti de Poutine, compte 93 députés à la Douma.

Les manifestants étaient liés par la dénonciation des fraudes électorales, des privilèges et de la corruption, qu’elle soit urbaine ou rurale, occidentale ou sibérienne. Mais, faute de pouvoir dégager d’autres points communs, les néodissidents et les artistes qui s’étaient réunis le 12 décembre à Moscou n’ont pas défilé. La blogosphère russe ne concerne que la classe moyenne et les intellectuels. Les « aniekdotes » qui s’y baladent ne font pas un printemps.
En attendant mieux, l’intelligentsia assiste à la représentation du Citoyen poète , feuilleton satirique diffusé chaque lundi sur Radio Echo Moscou et désormais joué en salle : on s’y moque du Président, du Premier ministre et de leur entourage bling-bling. Ça ne fait pas non plus un printemps…

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