Nucléaire en Polynésie : rétrocession des atolls ?

Les sénateurs ont adopté le 18 janvier une proposition de loi relative au suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires en Polynésie française. Le texte, qui demande notamment la rétrocession des deux atolls contaminés par l’État à la Polynésie, devrait être sévèrement combattu par la droite à l’Assemblée.

Mickaël Guiho  • 20 janvier 2012
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Nucléaire en Polynésie : rétrocession des atolls ?
© Photo : AFP

En 1960, l’État français était tombé sur un os corse : désireux d’installer une base d’expérimentations nucléaires sur l’île méditerranéenne, le gouvernement Debré avait dû abandonner un projet trop contesté. Mais ce fut pour mieux se rabattre sur une autre région et un autre peuple : en 1964, sans consultation populaire, la France lançait la construction du Centre d’expérimentation du Pacifique en Polynésie française. De 1966 à 1996, 192 essais nucléaires ont été réalisés sur le territoire, dont 146 dans les sous-sols et sous les lagons des atolls de Moruroa et Fangataufa.

Aujourd’hui, la proposition de loi de Richard Ariihau Tuheiava, jeune sénateur de la Polynésie française (aujourd’hui collectivité d’Outre-mer) apparenté PS, veut permettre de protéger ces îles coralliennes et leurs habitants de la menace radioactive qui pèse sur eux. La loi Morin du 5 janvier 2010 reconnaissait -après 30 années d’indifférence- l’impact sanitaire des essais nucléaires. Mais, outre qu’elle a été «un fiasco législatif» selon le sénateur (2 victimes indemnisées à ce jour, quand la Caisse de prévoyance sociale indique avoir soigné 5 048 cas potentiellement liés au nucléaire rien qu’entre 1990 et 2010), la loi a totalement occulté leur impact écologique. Une «grave omission» pour Richard Ariihau Tuheiava, qui souligne que le lien entre l’individu et son environnement naturel est sacré chez les Polynésiens.

«La Polynésie, à travers les essais nucléaires réalisés sur son sol, a donné à la France la possibilité de faire partie des grandes nations. Mais nous le payons très cher, car aujourd’hui nous le portons dans notre chair et notre terre» , a d’ailleurs déclaré mardi 17 janvier au Sénat le pasteur Taaroanui Maraea, président de l’Eglise protestante Maohi, dans une conférence de presse décidément peu laïque : celle-ci avait débuté par une prière de John Taroanui Doom, membre du Bureau de l’association Moruroa e Tatou, opposant historique aux essais nucléaires, fait inédit au Sénat.

À cette occasion, Richard Ariihau Tuheiava soulignait les principaux volets du texte :

-*La rétrocession des deux atolls par l’État à la Polynésie

-*Des dispositifs de protection couvrant les populations voisines

-*La création d’une grande commission nationale de suivi des conséquences environnementales des essais nucléaires

À ce jour, on trouve en Polynésie plusieurs kilos à plusieurs tonnes de dépôts de plutonium près des anciennes zones de tir. Des dizaines de puits de tirs ont par ailleurs été bouchés avec des résidus radioactifs qui sont en contact direct avec l’eau. Les sénateurs pointent aussi un risque de tsunami, qui serait généré par l’affaissement du platier de Mururoa et qui diffuserait les résidus sur toute la région.

La proposition de loi a été votée mercredi 18 janvier dans l’après-midi par quatre groupes parlementaires : PS, EELV, CRC et RDSE. L’UMP a voté contre, les centristes de l’UCR se sont abstenus. Débattu grâce aux socialistes qui ont «écarté d’autres textes pour lui laisser une place dans l’agenda» et à «la majorité de la Commission économie» qui lui a accordé un avis très favorable, comme l’a signalé son rapporteur Rolland Courteau, le texte a aussi une forte charge symbolique et politique. Pour Jacky Bryant, ministre de l’Environnement du gouvernement de la Polynésie française, son adoption définitive signifierait qu’on a «changé de logiciel, d’approche de la question des essais nucléaires, que l’État français entre dans un rapport décomplexé aux Polynésiens» . Le ministre a rappelé que «la génération nucléaire» avait «balayé toutes les valeurs» polynésiennes, mettant en œuvre «une économie de comptoir où tout s’achetait, jusqu’aux consciences» .

Des enjeux multiformes donc, pour une loi qui pourrait déverrouiller un dossier hypersensible. Mais un déchaînement d’opposition de la droite est à craindre à l’Assemblée. Le gouvernement français refuse catégoriquement la rétrocession des atolls, brandissant le secret Défense : elle donnerait à des tiers la possibilité de récupérer des résidus radioactifs à partir desquels ils pourraient redécouvrir et copier la technologie française… «L’État agresseur» et sa majorité à l’Assemblée nationale pourraient donc bien faire capoter le texte, redoute Richard Ariihau Tuheiava, qui considère néanmoins qu’il «fera de toute manière l’honneur de la gauche sénatoriale» .

Écologie
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