Taxe Tobin, l’arme des fables

Après avoir l’avoir longtemps méprisée, Nicolas Sarkozy se montre tout à coup très volontariste pour l’adoption d’une taxe sur les transactions financières qui vient pourtant d’être écartée du budget 2012. Décryptage.

Erwan Manac'h  • 9 janvier 2012
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Taxe Tobin, l’arme des fables

« De qui se moque le gouvernement ? » C’est par l’interrogative qu’Attac, l’Association pour la taxation des transactions financières, a souhaité recadrer le débat sur la « taxe Tobin », relancé en fin de semaine dernière par Nicolas Sarkozy.

Selon le président-candidat non déclaré, la taxe sur les transactions financières (TTF) devait être « au cœur des discussions » avec Angela Merkel, lundi 9 janvier à Berlin, alors que Nicolas Sarkozy annonçait vendredi qu’il «  n’attendra[it] pas que tous les autres soient d’accord » pour taxer les marchés financiers français. Une décision doit être prise « avant la fin du mois de janvier » lançait le même jour Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, interviewé sur BFMTV. Le Président français confirmait à 14 h ce lundi qu’il souhaitait « appliquer le projet de directive sur une création de TTF tel qu’il est prévu par la commission » (lire plus bas), «  après avoir écouté les partenaires sociaux le 18 janvier » .

«Une absurdité»

Pourtant, à contre-courant de toutes ces belles déclarations d’intention, le gouvernement vient de faire barrage à l’adoption de la TTF : un amendement socialiste à la loi de finance 2012, proposant une taxe de 0,05% sur « l’ensemble des transactions financières » [^2] a été écartée en novembre dernier. Le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Pierre Lellouche, estimait fin 2011 que la France « ne peut légiférer seule » car ce serait « contre-productif » et cela « nuirait à la place financière de Paris » . « Rappelons également que Nicolas Sarkozy a supprimé en 2008 l’impôt de bourse, qui taxait à la Bourse de Paris les transactions sur actions au taux de 0,3% » , pestait Attac vendredi 6 janvier.

L’association ressort même des oubliettes la vidéo édifiante d’un débat entre Robert Hue et Nicolas Sarkozy, en juin 1999 sur la taxe « Tobin ».

  • « La taxe Tobin est une absurdité »

« Robin des bois »

En dépit de ces contradictions, le président français a multiplié les sorties oratoires pour promouvoir cette taxe et se pose aujourd’hui comme l’un de ses principaux défenseurs. Lors de sa dernière déclaration en date, au sommet du G20 de Cannes, il faisait ainsi la promotion de « la taxe Robin des bois » , saluant le Brésil, l’Argentine et l’Afrique du Sud qui ont «  rejoint le combat de la taxe sur les transactions financières » .

Depuis la crise financière, la droite s’est emparée de l’idée phare des altermondialistes dans une version édulcorée. Un rapport du FMI, puis des résolutions du Parlement européen (en mars), français et allemand (en juin) en faisaient la promotion. José Manuel Barroso, président de la Commission européenne, inscrivait même en septembre dernier ce principe au cœur du budget européen de 2014-2020, à un taux jugé insuffisant par les altermondialistes[^3]. Mais aucun acte n’a encore été joint à la parole. L’opposition de principe de la Grande-Bretagne et de la Suède bloque le projet au sein de l’Union.

« Tout indique que Bercy n’a mené aucune étude sérieuse de faisabilité pour préparer la mise en place d’une telle taxe au plan français » , estime aussi Attac, qui dénonce un « bluff indécent » destiné à contrebalancer l’effet négatif de la TVA sociale sur l’opinion à trois mois de la présidentielle.

Dans les rangs socialistes, la critique de la forme ne cache pas une gêne sur le fond. Harlem Désir a même jugé que Nicolas Sarkozy allait trop vite, jugeant qu’il fallait « évidemment qu’il y ait un minimum de pays européens, notamment la France et l’Allemagne, qui mette en œuvre ensemble » la « taxe Tobin » pour que le projet soit efficace. Ségolène Royal estimait aussi sur France 2 que la TTF est « impossible à faire toute seule, puisque la finance est mondialisée. » Pour les défenseurs de cette taxe au contraire, sa mise en place rapide est possible, y compris au niveau national. « La TTF rapport [déjà] 4 milliards d’euros par an en grande-Bretagne [^4] et 11 milliards au Brésil » , affirment conjointement l’Oxfam, Aides et la Coalition Plus, en campagne pour la promotion de cette taxe.


  • La réaction de Thomas Coutrot, co-président d’Attac France :

[^2]: « Englobant toutes les transactions boursières et non boursières, titres, obligations, et produits dérivés, de même que toutes les transactions sur le marché des changes » . Elle aurait pu rapporter autour de 10 milliards d’euros par an.

[^3]: Taxe de 0,1% sur les actions et obligations et de 0,01% pour les produits dérivés échangés sur les marchés financiers européens. Elle vise à « progressivement remplacer les contributions nationales et alléger la charge qui pèse sur les trésors publics nationaux » d’après le projet de la commission.

[^4]:  « à Londres, toutes les transactions sur les actions et les obligations subissent une taxe de 0,5 %, qui n’empêche pas la City d’être le principal centre financier européen », déclarait lundi Thomas Coutrot, co-président d’Attac France sur lemonde.fr

Économie
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