Plus d’austérité : la Grèce étranglée

Encore un tour de vis et des affrontements violents à Athènes. En proie à la récession, le pays, classe moyenne en tête, ne croit plus en rien. Reportage à Athènes, en partenariat avec Mediapart.

Amélie Poinssot  • 16 février 2012 abonné·es

Une nouvelle fois, Yannis est descendu dans la rue. En amont du vote du nouveau programme d’austérité, vendredi et samedi, les syndicats grecs avaient appelé à la grève générale. Mais l’espoir de ce quinquagénaire est bien mince de voir tomber les « réformes » concoctées par la « Troïka » (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI). Fonctionnaire au ministère des Finances, il a vu son salaire passer de 1 700 euros net par mois avant les premières mesures d’austérité, il y a presque deux ans, à 1 000 euros aujourd’hui. « Avec ma femme, on a du mal à s’en sortir, car on a trois loyers à notre charge : notre logement à Athènes, et les appartements de nos deux enfants étudiants, l’un en Crète, l’autre sur l’île de Zante. »

En Grèce, le choix de l’université dépend du rang obtenu au concours, et non de la ville d’origine des candidats, donc il arrive souvent que les enfants partent à l’autre bout du pays. Les rares chambres universitaires proposées par l’État sont réservées aux revenus inférieurs à 12 000 euros par an : avant la crise, ce n’était pas le cas de Yannis et de sa femme, employée dans une pharmacie. La situation du couple est pourtant fragile, car il ne fait pas partie de cette majorité de Grecs de la classe moyenne qui ont résisté cahin-caha jusqu’à ­présent parce qu’ils sont propriétaires de leur logement. « Actuellement, c’est l’équivalent de mon salaire qui passe dans les loyers et les factures , déplore Yannis. Mes deux enfants doivent faire des petits boulots à côté de leurs études. »

La solidarité familiale, l’un des piliers de la société grecque, est mise à rude épreuve en ces temps d’austérité, d’autant qu’aux ­premières mesures gouvernementales s’est ajoutée une profonde récession. L’emploi fond comme neige au soleil. Depuis quelques jours, c’est officiel, le petit pays d’à peine 11 millions d’habitants compte un million de chômeurs, les jeunes en tête : près de la moitié des moins de 25 ans sont à la recherche d’un emploi.

Ce week-end, devant le Parlement, Marina faisait partie des manifestants. Fonctionnaire elle aussi, elle se serre la ceinture : « Mon fils a 18 ans, il vient de commencer ses études. Évidemment, il habite à la maison, on ne pourrait pas faire autrement. De toute façon, même s’il travaillait, il serait aussi à la maison : comment peut-on être indépendant avec 500 euros par mois ? »

Parmi les nouvelles mesures qui ont été approuvées dimanche soir par la Vouli, le Parlement grec, il y a la diminution de 22 % du salaire minimum – avec un tarif spécial pour les moins de 25 ans : – 32 %. Résultat de l’opération : 512 euros brut par mois pour les jeunes Grecs ! Sur les banderoles des manifestations, ce week-end, on pouvait lire : « Vous n’avez pas été mandatés pour ce Moyen Âge que vous nous préparez. »

À voir la liste des nouvelles mesures contenues dans le programme, on comprend l’inquiétude de la population grecque. Outre la baisse du salaire minimum, qui concerne autant le secteur public que le secteur privé, le nouveau programme d’austérité prévoit une baisse de 15 % des retraites complémentaires et le licenciement de 15 000 fonctionnaires. Il contient également de profondes réformes structurelles, en particulier pour le système fiscal, la santé publique et le secteur de la justice. Des réformes censées mettre fin aux mauvaises pratiques, comme la corruption ou la fraude fiscale, mais qui seront sans nul doute difficiles à mettre en place rapidement.

Pour rappel, depuis février 2010 on a vu la suppression des primes et la réduction des 13e et 14e mois dans la Fonction publique, la suppression des 13e et 14e mensualités des pensions de retraite, la hausse de 4 points de la TVA, l’abaissement du seuil d’imposition à 5 000 euros par an, la remise en cause des conventions collectives… Sans parler du vaste programme de privatisation d’entreprises publiques, censé rapporter au départ 50 milliards d’euros à l’État en trois ans, objectif ramené depuis à 19 milliards…
« Poussons-les à la faillite avant qu’ils ne nous obligent à faire faillite nous-mêmes » , entendait-on dans les mégaphones ces derniers jours devant le Parlement. Pour Savas Robolis, directeur scientifique de l’Institut du travail, le centre de recherches des syndicats grecs, le diagnostic est clair : « La population va être contrainte à des sacrifices énormes pendant dix ans, mais ces sacrifices ne contribueront même pas à la diminution de la dette d’ici à 2020. Cette politique d’austérité est une impasse absolue pour l’économie grecque. »

Si l’endettement public diminue, ce sera surtout lié au plan d’effacement de la dette, qui a également été validé dimanche soir par l’assemblée, après des semaines de négociations avec les banques. Il doit permettre l’échange des obligations actuelles avec de nouvelles, qui auront perdu la moitié de leur valeur initiale. Jusqu’à l’année dernière, le volume de la dette grecque n’avait cessé d’augmenter, pour atteindre 161,7 % du PIB : avec cette restructuration, la dette publique devrait s’élever à 120 % du PIB en 2020.
Pour la population, l’incompréhension devant les nouvelles mesures est totale. Vanguélis, employé du casino de Loutraki, petite ville au sud d’Athènes, est venu manifester dans la capitale ce week-end. « Quand on s’attaque aux salaires du secteur privé, ce n’est pas pour diminuer les dépenses de l’État ou augmenter ses recettes fiscales. Cela va servir aux employeurs à s’en mettre plus dans les poches. » De fait, les entreprises n’ont pas attendu les futures mesures pour diminuer les salaires ou réduire le volume horaire de travail : les salaires ont baissé de 15 % en moyenne depuis deux ans, tous secteurs confondus, selon la Banque de Grèce. Certaines entreprises sont même tellement endettées que leurs salariés ne touchent plus un centime depuis plusieurs mois.

Dans ce contexte de récession, la plupart ne croient pas que le nouveau programme d’austérité, décidé en échange d’un nouveau prêt de 130 milliards d’euros, permettra d’écarter définitivement le risque de faillite de l’État et celui de sortie de la zone euro. La menace brandie par les dirigeants comme une épée de Damoclès depuis deux ans, la dramatisation tous azimuts entretenue par les médias du pays, les Grecs n’y croient plus. D’autant que les sommes prêtées ne permettent pas vraiment au pays de souffler, elles servent à rembourser les vieux emprunts : cette fois-ci, il s’agit de payer 14,5 milliards d’euros d’obligations qui arrivent à échéance le 20 mars. Le cycle infernal semble ne devoir jamais s’arrêter…

Pendant que les instances internationales décident du sort de la Grèce, la population s’appauvrit. Dans la capitale, les associations d’aide aux démunis estiment à 25 000 le nombre de SDF, parmi lesquels les Grecs sont en nette augmentation, alors que les sans-logis étaient surtout constitués ces dernières années d’immigrés sans papiers. L’Église orthodoxe, palliatif d’un État qui n’a jamais développé de structures sociales d’accueil, a augmenté le nombre de repas gratuits qu’elle distribue chaque jour dans ses nombreuses paroisses. Dans certains quartiers, les habitants eux-mêmes se mobilisent pour organiser des soupes populaires. Après trois décennies de croissance, de crédits faciles et de culte de la consommation, les classes moyennes grecques sont comme frappées par la foudre. D’après les statistiques officielles publiées le mois dernier, plus du tiers de la population est désormais au bord de la pauvreté ou de l’exclusion sociale.

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