« Un enfant a dit : chsais des poasies »

Albums illustrés, poésie, romans fantastiques : des pistes de lecture pour les petits et les adolescents.

Ingrid Merckx  • 1 mars 2012 abonné·es

Il conduisait sa camionnette rouge dans un désert jaune. Il ouvrait son coffre et une nuée d’oiseaux multicolores en jaillissait. On garde en mémoire la puissance poétique des Oiseaux , de Germano Zullo et Albertine, paru en juin 2010, genre d’album qui nourrit la réputation de La Joie de lire. La maison ­d’édition suisse fête ses vingt-cinq ans avec un nouvel album du fameux duo, les Gratte-Ciel .

Folie des grandeurs

La Joie de lire, c’est 480 titres dans un catalogue constitué par Francine Bouchet, enseignante à Genève, qui a repris en 1981 la librairie éponyme fondée en 1935. Six ans plus tard, elle en a fait une maison d’édition qui privilégie le pas de côté : « Aider à rêver d’autres vies possibles » , confie-t-elle à l’Hebdo (magazine suisse romand). Les ennemis du livre pour enfants, selon elle : complaisance, pédagogie, infantilisation. Aucun risque avec ces Gratte-Ciel, album en hauteur sur « la folie des grandeurs et la concurrence à tous crins » .

Des petits bonshommes en pantalons rayés rivalisent pour ériger, sur deux pages qui se font la nique, deux tours-palais avec porte en or et colonnes en marbre, architecte « le plus cher du monde » , « cuisine ultramoderne » , accueillant « 400 convives » pour « le troisième anniversaire du chihuahua d’Agenor-Agobar » … Le tout grâce au travail appliqué d’ouvriers-fourmis et sous le regard médusé d’une livreuse de pizzas (Ludmila Martinot, étudiante). Le trait accumule à l’encre noire sur fond écru des monticules de détails d’une ironie mordante que viennent renforcer quelques légendes glissées presque cliniquement, l’air de rien.

Perception du monde

N’y aurait-il plus guère que les enfants, ou presque, pour lire de la poésie ? Quoi qu’il en soit, elle est salutaire pour tous, comme le souligne Jean-Pierre Siméon, auteur de la Vitamine P, sous-titré « La poésie, pourquoi, pour qui, comment ? » . Parce qu’elle « accélère la conscience » , qu’elle est « à la portée de tous » , et parce « qu’un seul poème, dans un matin maussade, remet sur pied » , affirme cet agrégé de lettres dans cet essai où il témoigne d’une conviction née dans l’enfance : « Je sentais que la poésie augmentait ma perception du monde. »

Ce que répète, presque en écho, le jeune Charles dans un album d’Alain Serres, J’ai oublié ma poésie, illustré par Pef. Le garçon, qui sait son Albatros sur le bout des doigts et a le malheur de se prénommer comme son illustre auteur, l’oublie subitement et se noie simultanément dans les regards de son professeur et de la fille dont il est amoureux. En proie à un trouble où l’angoisse rejoint la honte, il improvise, tout entier à son vertige. « Un enfant a dit/je sais des poèmes / un enfant a dit/chsais des poasies. » (Raymond Queneau).

Paroles d’ados

Qu’est-ce qu’un roman pour ados ? « Un roman dont les personnages sont des adolescents et dont les sujets sont un peu ­simplifiés par rapport à un livre pour adultes » , résument Léna et Elsa, élèves de 3e. « Sauf que, parfois, c’est un peu trop écrit pour des enfants » .

Dur de trouver le bon ton, comme dans Enfants de la forêt, treizième roman de Béatrice Masini, où l’auteur « ne semble pas croire elle-même à son histoire »  : une fable post-apocalyptique où des enfants livrés à eux-mêmes « réapprennent le goût les saveurs » . « Pourquoi la bombe a explosé ? Quels sont les dégâts ? Rien n’est dévoilé, et cela empêche de se mettre à la place des personnages » , regrette Elsa.

D’après Léna, l’identification fonctionne à plein dans Peur express, du Français Jo Witek, thriller où six adolescents, « coincés dans un TGV en hiver sur un viaduc, vont soudainement voir des personnes qu’ils croient être des passagers du train et qui sont en fait le reflet de leurs désirs ou de leur passé… » Si la fin est « décevante » , juge Léna –  « dans cet univers fantastique, la seule solution recherchée est quelque chose d’explicable scientifiquement »  –, le plus marquant reste les « fantômes »

Culture
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