Qui veut vraiment en finir avec les paradis fiscaux ?

Sarah Sudre  • 19 avril 2012 abonné·es

Les paradis fiscaux ont la belle vie. Plus de 20 milliards d’euros échappent annuellement au budget de l’État, selon le rapport du Comité catholique de lutte contre la faim et pour le développement (CCFD). Pour récupérer cette somme et mettre un terme à l’évasion fiscale, l’ONG a proposé aux candidats à la présidentielle de signer un pacte regroupant 16 propositions [^2], sur notamment la transparence financière des multinationales.

Par exemple, Mathilde Dupré, membre du CCFD, dénonce Total, qui ne publie dans ses comptes que ceux de 227 filiales sur 712, et BNP Paribas, qui possède un quart de ses filiales dans les paradis fiscaux. Europe Écologie-Les Verts, le Front de gauche et le Parti socialiste et, plus tardivement, le Modem, ont approuvé le pacte. L’UMP réfléchit… Ce n’est pas la priorité de campagne de Nicolas Sarkozy, qui affirmait pourtant en 2009 que « les paradis fiscaux et le secret bancaire, [c’était] fini ». Affirmation contredite par Tax Justice Network, qui recense en 2011 plus de 54 territoires cultivant un fort degré d’opacité financière.
« Pas étonnant », selon Antoine Peillon, auteur du livre Ces 600 milliards qui manquent à la France, qui se demande comment mettre fin à l’impunité alors « qu’il n’y a eu aucune avancée législative sérieuse depuis 2007 pour lutter contre l’évasion fiscale ».

Faute de sanctions, les trous noirs de la finance internationale accueillent encore chaque année des milliers d’évadés fiscaux ainsi que les filiales de grandes banques et de multinationales. « Il faut avouer qu’aujourd’hui on identifie mieux les paradis fiscaux que dans le passé. C’est un progrès », commente Jacques Terray, vice-président de l’association Transparency International. Mais le CCFD-Terre solidaire nuance : « Blacklister des pays est une opération éminemment politique, il ne faut pas froisser les grandes puissances du G20. » Établir les listes (noire et grise) se révèle être un exercice diplomatique délicat pour le Groupe d’action financière (Gafi) et l’OCDE. Selon Mathilde Dupré, « il est illusoire de croire qu’une liste objective est possible ». Parmi les premiers pourvoyeurs d’opacité où afflue « l’argent sale », on trouve le Luxembourg, l’État de Delaware, la Suisse, les îles Caïmans, Hong-Kong… Pourtant, aucun de ces pays n’apparaît dans les listes de l’OCDE et du Gafi. Antoine Peillon : « Ces listes sont corrompues. Les États sont complices, puisqu’ils ont eux-mêmes des évadés fiscaux, d’une part, et contiennent des paradis fiscaux, d’autre part ».

La liste noire dénonce les pays les plus nocifs en termes de fraude fiscale. « C’est une sanction symbolique. Ils doivent avoir honte », précise Jacques Terray. En deux ans, les 37 territoires concernés ont disparu de cette liste car « ils ont accepté des accords d’échanges informels », explique Antoine Peillon. La France vient de publier sa propre liste au Journal officiel. Sur les 18 pays considérés comme paradis fiscaux en 2011, il n’en reste plus que huit cette année [^3]. « Il faut sortir de cette hypocrisie. C’est tellement lâche de s’attaquer à des zones lointaines alors qu’il y a des paradis fiscaux, comme Monaco, qui sont à nos frontières », dit Jacques Généreux, secrétaire national de l’Économie au Front de gauche.

Dans son livre, Antoine Peillon évoque la « Suisse [qui] organise l’évasion fiscale de milliers de Français chaque année, et la banque UBS, qui incite les plus fortunés à ouvrir des comptes non déclarés dans des paradis fiscaux ». Pascal Canfin, eurodéputé d’Europe Écologie-Les Verts, ajoute : « Il faut obliger les entreprises à présenter leurs comptes pays par pays. Si elles ne collaborent pas, il faut supprimer leur licence bancaire. » Au Front de gauche, Jacques Généreux veut « s’attaquer aux pays qui ne veulent pas échanger les informations fiscales, en sanctionnant leurs institutions financières. Nous bloquerons les échanges de capitaux. Il est inadmissible que des banques criminelles incitent les Français à ne pas contribuer à l’intérêt général ».

Mais pour Vincent Drezet, porte-parole du Syndicat Snui-SUD Trésor, « il est de plus en plus dur de contrôler la grande fraude fiscale car on doit faire vite avec peu de moyens. Les suppressions de postes n’arrangent rien ». Ils sont environ 13 000 salariés à tenter de « chasser les évadés fiscaux », mais « ce n’est pas assez ». « Il faut multiplier les moyens matériels, financiers et humains du Trésor public et avoir un vrai service public de l’inspection fiscale », explique Jacques Généreux.

Autre problème selon le CCFD : « l’irresponsabilité des évadés fiscaux ». « Cela leur importe peu de contribuer à l’intérêt général de l’État », raconte Patrice, ancien gestionnaire de fortune et membre de CCFD.
Grâce au décret « Exit Tax », paru le 4 avril au Journal officiel, on peut aujourd’hui imposer les revenus du patrimoine des contribuables aisés qui souhaitent s’exiler. « Mais ce n’est pas ça qui va les empêcher de partir », ajoute Vincent Drezet. Selon Pascal Canfin, « la loi part d’une bonne intention, reste à savoir si elle va être appliquée ». Jacques Généreux dénonce une « gesticulation électoraliste ». Une goutte d’eau dans un océan de milliards.

[^2]: Pacte pour une Terre solidaire : 16 propositions pour un monde plus juste. ccfd-terresolidaire.org

[^3]: Botswana, Brunei, Guatemala, îles Marshall, Montserrat, Nauru, Niue et les Philippines.

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