« Toujours proches du pouvoir, quelle que soit sa couleur »

Selon Dominique Plihon, les économistes néolibéraux se mêlent aussi bien des politiques de gauche que de droite. Une situation malsaine qui doit être clarifiée.

Dominique Plihon  • 12 avril 2012 abonné·es

Un documentaire, les Nouveaux Chiens de garde, de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat ; une enquête du Monde diplomatique [[Lire sur le site du Monde diplomatique les articles
« Les économistes à gages sur la sellette » et « L’OFCE exigera
la transparence sur les conflits d’intérêts ».]] ; et les Imposteurs de l’économie, livre de Laurent Mauduit, mettent sur la place publique la collusion entre économistes, grandes entreprises et secteur bancaire. En cause, les conflits d’intérêt, le dogme libéral et une réforme des universités qui a pour conséquence une privatisation de l’expertise économique. Explications de Dominique Plihon.

Le livre de Laurent Mauduit met au jour la proximité de pensée d’économistes délivrant leurs conseils à François Hollande ou à Nicolas Sarkozy…

Dominique Plihon : Ce constat n’a rien d’étonnant pour deux séries de raisons. Le PS a connu une dérive sociale-libérale qui le rend très perméable aux idées des économistes proches de la finance et du néolibéralisme. Rappelons que la plus grande partie des privatisations bancaires ont été réalisées par les socialistes. Du côté des économistes, ceux qui ont pignon sur rue – par exemple le Cercle des économistes – nous expliquent qu’il n’y a plus de différence significative entre les politiques de droite et de gauche. Certains se revendiquent de gauche, mais sont toujours proches du pouvoir, quelle que soit sa couleur politique.

Une collusion apparaît entre économistes, institutions bancaires et grandes entreprises. Quel effet cela a-t-il sur l’expertise universitaire ?

La loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de Sarkozy donne l’autonomie aux universités, ce qui signifie un retrait progressif de l’État et un recours croissant aux financements privés. Pour survivre, dans une situation de concurrence internationale, les universités se tournent vers les entreprises et les banques, qui financent les chaires ­d’enseignement et les programmes de recherche – par les fondations –, en imposant leurs conditions. L’indépendance de l’expertise universitaire est menacée, de même que la recherche fondamentale, par nature désintéressée.

Qu’attendez-vous de la polémique née du livre de Mauduit, d’articles du Monde diplomatique et du documentaire les Nouveaux Chiens de garde ?

Ce débat est salutaire car il pose la question du rôle et de la place des économistes dans la société. Cela permet de clarifier les choses et de montrer qu’il existe deux catégories d’économistes : ceux qui sont indépendants de tout intérêt particulier et ont le plus de mal à se faire entendre, et ceux liés à des intérêts particuliers qui apparaissent le plus souvent dans les médias, eux-mêmes rattachés à des grands groupes industriels et financiers. La charte qui vient d’être instituée par l’OFCE [^2], et qui oblige les auteurs d’articles à indiquer leurs fonctions rémunérées ou gracieuses au sein d’institutions privées ou publiques, marque un progrès pour clarifier une situation qui était malsaine. L’économie est politique, c’est une science sociale : tous les discours économiques reflètent des intérêts et des choix politiques qui doivent être révélés.

[^2]: Observatoire français des conjonctures économiques, rattaché à la Fondation des sciences politiques.

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