Des thèmes validés par la droite

L’étude du scrutin du 22 avril confirme l’homogénéisation du vote FN en zones rurale et périurbaine, mais aussi la responsabilité du discours de la droite.

Denis Sieffert  et  Michel Soudais  • 3 mai 2012 abonné·es

Le constat est évident : l’électorat du Front national est sorti des villes. Il couvre à présent des zones rurales où il était faible auparavant, en Bretagne, notamment, ou en Auvergne et dans le Limousin. La crise agricole et la destruction des services publics expliquent en partie cette nouvelle carte électorale. L’habileté politique également : deux jours après le ralliement de Frédéric Nihous, porte-parole de Chasse pêche nature et tradition (CPNT), à Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen lançait un site Internet spécifiquement dédié à la défense de la ruralité et se posait, à Châteauroux, le 26 février, en candidate de la ruralité et de la défense des services publics. Or c’est dans la grande périphérie des agglomérations, où CPNT concurrençait le FN, que Marine Le Pen progresse le plus par rapport au score de son père en 2002.

Le vote Le Pen culmine dans ces espaces périurbains peuplés par une population modeste sans être pauvre, venue des centres-villes et qui travaille toujours dans des agglomérations voisines. Pour le géographe Laurent Chalard [^2], cette « classe moyenne basse » a fui les cités pour rejoindre des zones désertées par les services publics. Cette population a « un rejet dès l’origine de l’immigration ». C’est l’une des raisons de son « exode » dans des quartiers pavillonnaires reliés à la ville par des grands axes de communication. « Après les émeutes de 2005, souligne le géographe, ce phénomène de périurbanisation s’est accentué. »

Mais le rêve d’évasion tourne souvent au cauchemar en raison d’un fort endettement et de l’isolement. D’où une frustration supplémentaire. Laurent Chalard cite l’exemple de communes de Seine-et-Marne, à une quarantaine de kilomètres de Paris, comme Oissery (31,86 % pour Marine Le Pen) ou Saint-Pathus (26,73 %) : « Ce n’est pas un hasard si ce sont des villes situées dans le prolongement de la Seine-Saint-Denis, d’où vient une partie de la population. Ce sont des communes qui ont connu des fortes croissances démographiques sous forme de lotissements. » On trouve l’équivalent dans l’agglomération lyonnaise, ou non loin de Marseille ou Toulouse. Cette population cumule frustration sociale, effets de l’abandon des services publics et hostilité à l’immigration.

Mais il existe aussi des causes plus directement politiques. En 2002, déjà, après le 21 avril, la sociologue Annie Collovald [^3] dénonçait une droite « qui ne réussit plus, aujourd’hui, à retenir une clientèle électorale qui se radicalise à l’extrême. Après que la gauche a échoué depuis plusieurs années à retenir des électeurs populaires dont certains ont glissé à droite avant de se reporter sur l’extrême droite, la droite serait atteinte par une hémorragie de ses anciens soutiens ».

Pour Annie Collovald, en 2002 déjà, « la réussite FN [était] d’abord liée à la mobilisation électorale d’anciens abstentionnistes de droite ». Mais la sociologue pointait directement la responsabilité de la progression de la question de l’immigration ou de celle de l’insécurité dans le discours des responsables de droite et de gauche. Elle dénonçait aussi l’exploitation des thèmes frontistes par certains responsables politiques. Elle soulignait « la montée de considérations ethniques et culturalistes dans la gestion des problèmes sociaux chez ces mêmes responsables ». Il nous a semblé utile de reprendre cette analyse aujourd’hui. En effet, le discours de Nicolas Sarkozy n’est pas isolé, même s’il vire à la caricature. Il y a de nombreuses années déjà que des responsables politiques nationaux ou locaux ont validé les thèmes du FN. La raison en est simple : la mise en cause plus ou moins brutale de l’immigration et le développement des thèmes sécuritaires leur permettent de détourner le débat des véritables enjeux politiques. Par facilité, par opportunisme, ou pour masquer des intérêts bien sentis, ils finissent par imposer au centre du débat public des thèmes qui sont ceux du Front national.

Au-delà des causes objectives et sociologiques qui peuvent pousser une partie de nos concitoyens dans les bras du FN, il faut dire et redire que le discours politique de la droite agit comme un accélérateur de ce phénomène. En décidant de situer cette campagne sur le terrain de FN, en reprenant ses thèmes, Nicolas Sarkozy a légitimé le discours de Marine Le Pen. La fameuse « dédiabolisation » dont on a tant parlé est moins le fait de la candidate du Front national que du président de la République. Cela montre aussi le caractère pervers d’une adresse spécifique aux électeurs du Front national. C’est sans doute par une politique sociale qui s’adresse à toute la population que l’on réduira l’influence du discours lepéniste.
Denis Sieffert et Michel Soudais.

[^2]: Lemonde.fr, 27 avril.

[^3]: Vacarme n° 20, été 2002.

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