« La loi sur le harcèlement sexuel doit être plus explicite »

Le délit fait actuellement l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité. L’avocate Nadjette Guenatef estime que l’imprécision de la loi joue en défaveur des victimes.

Clémence Glon  • 3 mai 2012 abonné·es

L’infraction de harcèlement sexuel existe depuis 1992. D’abord limitée au monde du travail, la définition est élargie à tous les contextes en 2002. Mais ses contours demeurent flous. En soulevant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 17 avril dernier, Gérard Ducray, ancien élu du Rhône, condamné en appel en 2011 pour harcèlement, impose un débat. Selon l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), l’imprécision du code pénal joue en défaveur des victimes. Le Conseil constitutionnel rend sa décision le 4 mai.

Quels éléments du texte font aujourd’hui débat ?

Nadjette Guenatef : Le code pénal définit le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle » (article 222-33). C’est une tautologie incompréhensible qui favorise l’arbitraire. Le code pénal manque de précision, et les parquets finissent par classer sans suites les affaires faute d’éléments matériels. Ce qui est contraire aux articles 5, 8 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et à l’article 34 de la Constitution. Si le juge se fie à la définition commune du Petit Robert, il va s’apercevoir que le harcèlement passe par la notion de répétition. Or, ce n’est pas du tout la définition du législateur, pour lequel une femme peut être harcelée une seule fois.

Abroger cette loi ne serait-il pas un retour en arrière impensable ?

Certainement, si le texte est purement et simplement abrogé le 4 mai. C’est ce que vise Gérard Ducray en formant cette question prioritaire de constitutionnalité. Pour lui, les avances pour lesquelles il a été condamné relèvent de la simple drague. Il estime qu’il a été victime d’un texte inconstitutionnel qui ne peut même pas être interprété puisqu’il manque de contenu. Comme toute personne a droit à un recours en cas de violation de ses droits fondamentaux reconnus par la Constitution, il a déposé cette QCP, qui a été transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation. Si le Conseil donne raison à Gérard Ducray, le texte sera immédiatement abrogé. Cette abrogation entraînera la disparition de sa condamnation. Alors, l’ensemble des poursuites pour harcèlement sexuel seront éteintes le 4 mai.

Qu’a demandé l’AVFT au Conseil constitutionnel ?

L’AVFT est intervenue justement pour éviter ce retour en arrière. Dans le cadre d’une QPC, le Conseil constitutionnel peut décider, dans un souci de sécurité juridique, d’abroger la loi de manière différée, pour laisser le temps au législateur de réécrire le texte. Les tribunaux attendent alors pour statuer sur les affaires de harcèlement sexuel. Un moindre mal pour les victimes.

Pourquoi cette loi n’a-t-elle pas été modifiée plus tôt ?

Cela fait dix ans que les associations de victimes se battent pour que le texte soit réécrit. Le harcèlement sexuel doit exister dans le code pénal avec une définition conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution. Une loi rédigée de manière explicite permettrait aux tribunaux d’exercer des poursuites.

En 2009, on ne décompte qu’une cinquantaine de condamnations pour harcèlement sexuel en France. Ce chiffre cache des variantes. En raison du manque de précision de la loi, certains viols et agressions sont requalifiés en harcèlement. Avec le texte actuel, une femme qui vient déposer plainte pour harcèlement sexuel en expliquant qu’elle n’a été ni violée ni touchée, mais victime des pressions morales, verra sa plainte classée sans suites.

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