Le danger Eurex

François Morin explique les mécanismes spéculatifs sur la dette française.

Thierry Brun  • 3 mai 2012 abonné·es

Eurex, l’un des plus importants marchés de produits financiers dérivés au monde, filiale de la Deutsche Börse, a réintroduit le contrat à terme sur les obligations du Trésor français (OAT). Décryptage de François Morin.

« La spéculation s’articule à partir de deux techniques. Acheter un contrat à terme sur obligation française peut revenir à “spéculer à la hausse” sur les obligations françaises. Au terme du contrat, de trois mois par exemple, si la valeur de l’obligation a augmenté, le spéculateur verse au vendeur le prix fixé initialement, et s’empresse de la revendre au prix supérieur du marché, empochant ainsi une plus-value.

Mais on peut aussi “spéculer à la baisse”. C’est surtout cette situation qui est évoquée dans la conjoncture politique et financière actuelle de la présidentielle française. Le spéculateur réalise alors simultanément deux opérations à terme : une opération de vente et une opération d’achat, les deux portant sur un même nombre d’obligations. Si l’opération de vente se conclut au prix stipulé à l’avance dans le contrat à terme, l’opération d’achat en revanche s’établit au prix du marché des obligations au moment du terme du contrat.

C’est ce prix que le spéculateur espère voir baisser pendant la durée du contrat. Si c’est bien le cas, il touche ainsi une plus-value égale à la différence entre le produit de ses ventes et celui de ses achats de titres.
Lorsque les opérations spéculatives se multiplient, elles ont tendance à accentuer les mouvements à la hausse ou bien à la baisse de la valeur des obligations. Par exemple, si, face aux risques supposés attachés à la dette française, les opérations de ventes de contrats à terme deviennent importantes, entraînant une spéculation à la baisse, elles contribuent automatiquement à infléchir la valeur des obligations françaises, alimentant d’autant les plus-values spéculatives, et provoquant la hausse mécanique des taux d’intérêt.

Pour le spéculateur, il faut ajouter la technique dite de “l’effet de levier”. Avec un levier par exemple de 20, le spéculateur qui dispose de seulement 50 000 euros peut vendre, dans le cas d’une spéculation à la baisse, des contrats à terme pour un million d’euros d’emprunts d’État français. Avec cette technique du levier, le spectre des spéculateurs s’élargit considérablement. Ils pourront en grand nombre acheter ou vendre facilement à découvert des emprunts d’État français. C’est une arme spéculative idéale pour attaquer la dette française : il suffit de vendre massivement des contrats à terme.

Les spéculateurs contre la dette française ne disposaient jusqu’à maintenant que de deux moyens : soit acheter des Credit Default Swaps (CDS, fameux contrats d’assurance contre la faillite qui s’échangent de gré à gré sur des marchés opaques), soit vendre à découvert des emprunts d’État français, deux choses réservées aux institutions financières et aux fonds spéculatifs disposant de gros moyens. Mais, désormais, on pourra spéculer beaucoup plus facilement contre la dette française.

Si le nouveau président souhaitait interdire ces produits, il ne le pourrait pas, car ils sont protégés par les règles européennes. Seul un accord politique entre les chefs d’État pourrait changer les règles du jeu.
L’incertitude relative aux décisions du futur président de la République offre une fenêtre de tir idéale à la spéculation. Ce qu’exprimait début avril Marc Fiorentino, ancien trader : “À la City et dans les plus grands hedge funds américains, c’est la veillée d’armes. On se prépare. Dans le calme, mais avec une détermination froide et inquiétante.” »

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