Tourner la page !

Denis Sieffert  • 3 mai 2012 abonné·es

Avouons-le : en d’autres temps, face à un candidat de centre-droit, un Bayrou mou par exemple, le vote Hollande ne serait peut-être pas évident pour toute la gauche. On pourrait même ressortir de sa naphtaline le fameux « bonnet blanc et blanc bonnet », cher jadis au communiste Jacques Duclos. On se souvient que l’heureuse formule avait été popularisée en 1969 pour railler le titanesque affrontement Poher (le Méhaignerie de l’époque)-Pompidou. Une eau tiède coulait sur la France convalescente de Mai 68. On en serait au même point aujourd’hui si l’un des deux protagonistes n’était pas Nicolas Sarkozy.

Car, disons-le tout de suite, rien dans le discours de François Hollande ne nous laisse espérer une rupture avec la politique libérale qui mène l’Europe à la faillite. Rien ne nous permet de croire que le chômage, qui vient d’atteindre le chiffre record de 4,3 millions, va cesser d’augmenter. Pas même des mesures sans aucun doute utiles, comme la création de 60 000 postes dans l’Éducation nationale, ou le « contrat de génération ».

La crise est si profondément systémique que c’est bien le système qu’il faudrait remettre en cause. À tel point que le mot « crise », qui suggère que tout cela n’est qu’un mauvais moment à passer, n’est d’ailleurs plus très pertinent. C’est un autre rapport social qu’il faut inventer, qui torde le coup au mythe de la croissance, et repose sérieusement la question du temps de travail [^2].

Nous n’avons donc pas besoin d’être déniaisés. Ni d’entendre les prédictions des Cassandre qui au premier conflit social avec le président « de gauche » nous lanceront un vengeur : « On vous l’avait bien dit. » Nous n’avons oublié ni le tournant libéral de 1983, ni la campagne de Mitterrand en faveur de Maastricht, en 1992, ni la ratification du traité d’Amsterdam par Lionel Jospin en 1997, ni l’abstention socialiste qui a permis l’adoption du traité de Lisbonne contre une majorité de Français en 2008. Mais le vote de dimanche prochain revêt un caractère tout à fait dramatique. Nous l’avons dit cent fois dans ce journal, et nous le démontrons cette semaine encore (voir l’article de Michel Soudais en page 6), la figure politique qu’incarne Nicolas Sarkozy se situe à la marge de la démocratie. L’homme est un aventurier capable de tous les coups tordus pour garder le pouvoir.

Honte d’ailleurs aux Raffarin et autres Kosciusko-Morizet, qui ne sont pas de ce bois-là, mais font campagne à ses côtés. Car, Sarkozy représente aujourd’hui la mainmise idéologique du Front national sur la droite française. Il a emprunté aux Le Pen et à la tradition de l’extrême droite la sordide technique du bouc émissaire. Il faut être frappé d’une étrange cécité pour ne pas voir la différence entre ce discours-là et celui de François Hollande. Sans même parler du projet social. À moins d’aborder la question avec la légèreté d’un jeu intellectuel, ou avec la posture d’un Narcisse, enivré de sa propre singularité. À moins encore d’être un adepte de la politique du pire, en espérant ainsi stimuler l’esprit de révolte chez des contemporains jugés assoupis.

Non, décidément, l’heure est trop grave pour céder à la pose. Car il y a bien plus que des relents de pétainisme dans le discours de Sarkozy. Croire que ce n’est là que tactique électorale, c’est sous-estimer le péril. Le cynisme du candidat-président n’explique pas tout. Le ministère de l’Identité nationale (à l’époque, nous avions nous-mêmes affiché le portrait de Pétain en une de Politis), le discours de Grenoble, en août 2010, stigmatisant les Roms, les meetings d’avant-premier tour exaltant la haine des syndicats, des corps intermédiaires, et un mépris pour la justice, tout cela, c’était avant le score de Marine Le Pen. L’hostilité à l’encontre des fonctionnaires « privilégiés » et des chômeurs « fainéants », aussi. Depuis, Sarkozy a ajouté son appel à une sulfureuse manifestation antisyndicale pour ce 1er mai, qui contient tous les ferments d’affrontements futurs. Il y a du février 1934 dans cette initiative. Rester sur son Aventin alors que l’occasion nous est donnée d’en finir avec ce personnage n’est pas, selon nous, une position défendable.

Bien entendu, il existe une objection que l’on doit entendre : Sarkozy lui-même ne vient pas de nulle part. La capitulation historique de la gauche social-démocrate devant la finance, dès le début des années 1980, n’est pas pour rien dans l’apparition de cette figure politique au cœur même de la droite parlementaire. Mais nul ne peut plus ignorer aujourd’hui ce que signifierait un deuxième quinquennat de Nicolas Sarkozy pour notre société tout entière et pour le mouvement social. C’est donc la responsabilité de chacun de tourner la page.

[^2]:  Il faut lire, sur ce sujet notamment, le petit livre de Pierre Larrouturou C’est plus grave que ce qu’on vous dit… mais on peut s’en sortir !, Nova éditions, 3 euros.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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