À contre-courant / La nature n’est pas à vendre

À l’heure où ces lignes seront publiées, la conférence Rio+20 aura fermé ses portes.

Jean-Marie Harribey  • 28 juin 2012 abonné·es

À l’heure où ces lignes seront publiées, la conférence Rio+20 aura fermé ses portes. Depuis plusieurs années, les négociations internationales n’avancent pas sur les sujets brûlants, notamment sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui réchauffent le climat. C’est dire combien la stratégie de développement soutenable, décidée il y a vingt ans, a du plomb dans l’aile. Mais l’imagination des experts de l’ONU, de l’OCDE et de la Banque mondiale est débordante. Ils ont concocté le projet d’économie verte ou de croissance verte. Ils ont juste des petits problèmes de méthode à résoudre.

Une croissance n’est visible que si on la mesure. Comment mesurer son verdissement ? Il faut, nous dit-on, réduire au même dénominateur monétaire toutes les sortes de capitaux : le financier, le social, l’humain et le naturel. Pour le premier, c’est facile, la monnaie est son élément. Pour les autres, ça l’est moins, surtout pour la nature. Qu’à cela ne tienne, la nature n’a pas de prix, donnons un prix aux services qu’elle rend (les insectes, les océans, les forêts…) et cela donnera une bonne idée de ce qu’elle vaut. Par exemple, les forêts étant des puits de carbone seront évaluées à la hauteur des tonnes de CO2 captées multipliées par le prix de marché de la tonne de CO2. Que ce prix de marché soit volatil et objet de spéculation, que la nature qui donne la vie soit « hors de prix » et que son métabolisme échappe à toute quantification monétaire, tout cela n’émeut guère nos experts. Voilà comment on tue l’idée même de rendre l’économie plus écologique, vraiment plus verte.Pourquoi tant d’efforts dont la vacuité est patente ? Les ressources naturelles étant limitées, il faut prévoir leur remplacement pour espérer une croissance infinie. Celui-ci doit s’opérer de manière à égaliser les rendements des différents capitaux investis, au fur et à mesure que l’on substitue du capital manufacturé, du progrès technique et du savoir-faire aux ressources. Mais beaucoup de biens naturels n’ont pas de propriétaires susceptibles de les rentabiliser. La Banque mondiale a réponse à tout : il faut définir des droits de propriété sur l’environnement, qui sont « manquants ou incomplets », en « aidant les firmes à remonter la chaîne de valeur, organisant les compromis entre croissance forte et produits plus verts, et incorporant la valeur économique des services dans les décisions de politiques ». Et le Pnue, organisateur du Rio+20, connaît la cause de toutes nos crises : « une mauvaise allocation flagrante des capitaux ». Il connaît donc la solution : « la croissance rapide des marchés financiers ». En somme : privatisation des biens collectifs et appel aux capitaux privés.

La méthode possède une logique implacable qui, pour être démontée, exige de revenir à la source même de la critique de l’économie politique. 1) La nature nous donne des richesses mais ne crée pas de valeur économique. 2) La valeur de la nature est incommensurable à quelque quantification économique que ce soit ; sa valeur est autre. 3) La résistance à sa marchandisation s’inscrit dans l’ensemble des résistances à l’accumulation capitaliste. Voilà la raison profonde de la liaison entre le social et l’écologie : seul le travail crée la valeur économique, mais dans un cadre naturel qu’il faut respecter.

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