Égypte : Journées à haut risque

Dans l’attente des résultats de la présidentielle, et alors que l’armée tente de reprendre le pouvoir, le pays connaît une tension extrême.

Denis Sieffert  • 21 juin 2012 abonné·es

Dans l’attente de la proclamation officielle, prévue jeudi, des résultats de l’élection présidentielle, l’Égypte connaissait en début de semaine une grande confusion institutionnelle et politique. Deux processus se poursuivent parallèlement. L’un est électoral et, en dépit des difficultés, il serait encourageant si, en même temps, il n’était pas contredit par une série de décisions prises par l’armée pour conserver l’essentiel du pouvoir. Lundi soir, au lendemain du scrutin des 16 et 17 juin, les Frères musulmans revendiquaient la victoire pour leur candidat, Mohammed Morsi, qui devancerait de justesse Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak. Mais du côté de Chafiq, on était loin de s’avouer vaincu.

Prenant les devants, Mohammed Morsi a rapidement prononcé une déclaration très « présidentielle ». Il s’est engagé à travailler « main dans la main avec les Égyptiens pour un avenir meilleur, pour la liberté, la démocratie et la paix », et à servir « tous les Égyptiens » quelle que soit leur obédience politique ou religieuse. Mais de quel pouvoir réel disposera le futur président ? À mesure que les jours passent, la marge de manœuvre du vainqueur de l’élection s’amenuise. Après la décision de la Haute Cour constitutionnelle de dissoudre la Chambre des députés, dominée par les Frères musulmans depuis les législatives de novembre, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) a annoncé lundi qu’il exercerait le pouvoir législatif jusqu’à l’élection d’une nouvelle Assemblée du peuple. Et le même CSFA a indiqué qu’il garderait le contrôle de plusieurs verrous institutionnels au nom de « l’équilibre des pouvoirs ». Des décisions vivement contestées par les Frères musulmans, pour qui « le Conseil militaire n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée ». La confrérie devait d’ailleurs participer aux manifestations « contre le coup constitutionnel » convoquées mardi par des militants prodémocratie. « L’armée remet le pouvoir à l’armée », ironisait lundi le quotidien indépendant al-Masri al-Youm, tandis qu’un autre journal indépendant, al-Chourouq, titrait « Un président sans pouvoir ». La tension risque d’être à son comble en cas de victoire proclamée de Chafiq, ce qui, au total, rendrait la quasi-totalité des pouvoirs à l’armée. Après un an et demi de soulèvements, puis l’entame d’un réel processus démocratique, on en reviendrait à un pouvoir militaire. Ce scénario dramatique est-il plausible ? Ce serait sans compter avec la dynamique révolutionnaire. À moins d’une répression anglante « à la syrienne », il sera difficile à l’armée d’effacer un mouvement qui travaille en profondeur la société égyptienne.

On peut donc imaginer que les différentes mesures prises par le CSFA pour se réapproprier le pouvoir constituent un dernier soubresaut de la dictature. Pour les hiérarques de l’armée, l’enjeu est d’importance. Il s’agit de conserver tous les privilèges et avantages matériels dont s’est dotée une caste en soixante ans de monopole du pouvoir. L’armée peut s’appuyer sur une partie de la population, lasse des désordres. En particulier une bourgeoisie d’affaires liée à l’industrie du tourisme. En Égypte, les prochains jours sont à haut risque.

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