Grèce : l’austérité sort des urnes

Les élections du 17 juin ont donné la victoire à la Nouvelle Démocratie, parti de droite partisan de l’orthodoxie budgétaire. Une soumission à la troïka européenne qui a peu de chances de tirer le pays du désastre de la dette.

Thierry Brun  • 21 juin 2012
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Le soulagement prévalait dans les instances européennes après l’annonce des résultats des législatives du 17 juin en Grèce. Au coude à coude avec Syriza, coalition de gauche, la Nouvelle Démocratie l’a emporté de justesse dans les urnes. La courte victoire de la droite a été accueillie avec satisfaction par le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, et celui de la Commission européenne, José Manuel Barroso. « Nous continuerons à soutenir la Grèce en tant que membre de la famille de l’Union européenne et de la zone euro. Nous nous tenons prêts à poursuivre notre assistance », ont déclaré les deux hommes dans un communiqué commun. Le Fonds monétaire international (FMI), très engagé en Grèce, s’est dit prêt à discuter avec le nouveau gouvernement à Athènes.

Quelques jours avant le scrutin, François Hollande avait rappelé que la Grèce devait poursuivre l’austérité budgétaire, et que « l’abandon pur et simple du mémorandum serait regardé par beaucoup de participants de la zone euro comme une rupture ». L’avertissement s’adressait aux Grecs tentés de voter pour Syriza. Les partisans de l’orthodoxie budgétaire ont injustement classé la coalition dans le camp des anti-euro, parce que celle-ci souhaite renégocier le contenu du mémorandum imposé par la troïka (BCE, FMI, UE) à l’État grec, et ainsi rompre avec des politiques d’austérité aux conséquences dramatiques. Le taux de chômage a continué à s’aggraver en Grèce, passant à 22,6 % au premier trimestre, dont plus de 50 % chez les jeunes. Plus de 20 % des Grecs sont sous le seuil de pauvreté, et le pays manque de médicaments…

« Les grands médias, ainsi que les responsables politiques, les élites économiques européennes ont ouvertement menacé le peuple grec du chaos pour promouvoir Nouvelle Démocratie et son leader Samaras – ancien nationaliste reconverti –, qui l’emportent de peu », a réagi l’association Attac. La Nouvelle Démocratie, ainsi que le Pasok, parti social-libéral, « ont accepté les termes du mémorandum. La victoire de la Nouvelle Démocratie est pour la troïka un encouragement à poursuivre dans la même direction. Les réactions sociales pourraient être très fortes à la rentrée, rendant hypothétique la survie de ce gouvernement », craint l’économiste grec Athanase Contargyris. Le soulagement de la troïka risque d’être temporaire, car la possible coalition néolibérale pro-austérité, avec une Nouvelle Démocratie associée au Pasok, doit lui donner des gages. Le chef de file de la première, Antonis Samaras, propose des recettes éculées sans grand avenir : dans un pays asphyxié par sa dette, le programme économique du parti conservateur prône des baisses d’impôts et des réductions massives de l’emploi public.

C’est le paradoxe grec : au lendemain des législatives du 17 juin, ce sont les deux partis fossoyeurs du pays, la Nouvelle Démocratie (droite libérale) et le Pasok (socialiste) qui négociaient la formation d’un gouvernement d’union nationale. Un autre paradoxe, c’est que ces vieux chevaux de retour étaient salués par des dirigeants européens qui n’ont pourtant cessé de les accuser d’être responsables de l’endettement du pays. Ces bizarreries s’expliquent par la frayeur des mêmes dirigeants devant la perspective d’une victoire de la gauche radicale. Le coup est passé très près, il est vrai, puisque, avec 26,9 %, Syriza est arrivé en deuxième position, juste derrière la Nouvelle Démocratie (29,7 %), d’Antonis Samaras, et loin devant le Pasok, qui ne recueille que 12,3 % des voix. Cela, malgré une campagne européenne relayée par un déchaînement médiatique articulé autour d’un argument on ne peut plus simple : si la gauche radicale l’emporte, la Grèce sortira de l’euro, et l’aide européenne ne sera pas versée. Le clientélisme à l’échelle continentale !

Le système donne une telle prime au parti arrivé en tête que les conservateurs de la Nouvelle Démocratie et le Pasok pourraient prétendre à une majorité absolue de 162 sièges. Toutefois, lundi soir, l’accord n’était pas acquis. C’est le socialiste Evangélos Vénizélos qui montrait le plus de réticence, plaidant pour une union élargie aux quatre formations arrivées en tête.

Mais Alexis Tsipras, le leader de Syriza, se refusait à gouverner avec ceux qui ont donné leur accord au plan d’austérité imposé par l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le FMI.

Parmi les mesures fiscales, figure le plafonnement à 32 % du taux le plus élevé de l’impôt sur les revenus. En clair, les hauts revenus seraient favorisés au détriment des plus bas, sans résoudre le problème de la dette. La Nouvelle Démocratie a de plus annoncé qu’elle souhaitait renégocier le programme de rigueur dicté par la troïka. Cela n’a pas troublé le gouvernement français : « Il s’est réjoui de la défaite de la gauche alternative en Grèce. Lui aussi devra “tenir ses engagements” dans le cadre austéritaire renforcé du Pacte budgétaire », avertit Attac. « Les politiques de rigueur mises en place sont poussées à un niveau jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. Les effets de la crise sont ainsi décuplés par des prétendus remèdes, qui visent surtout à protéger les intérêts des détenteurs de capitaux », pointent Damien Millet et Éric Toussaint, du Comité pour l’annulation de la dette du tiers monde (CADTM).

Ainsi, malgré la réduction de dette concédée par les créanciers privés dans le cadre du mémorandum, l’endettement public de la Grèce atteindra 164 % du PIB en 2013, reconnaissent les membres de la troïka. Dès le lendemain de la victoire de la Nouvelle Démocratie, le marché de la dette s’est emballé : les taux d’intérêt sur la dette espagnole ont franchi un nouveau record au-delà des 7 %. De même, les taux d’intérêt italiens se sont envolés à 6 %. Pas de quoi être rassuré.

Monde
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