La Poste en souffrance

Alors qu’une expertise fait état d’une dégradation des conditions de travail, la direction envoie quatre syndicalistes au tribunal.

Anaïs Gerbaud  • 21 juin 2012 abonné·es

Après un congé maladie, Brigitte, employée au service général des entreprises du centre financier de La Poste à Paris, retourne le 15 septembre 2011 au boulot. Mais « le planning ne mentionne ni sa présence ni ses horaires. […] Elle perd pied ». Ce jour-là, à 11 heures, Brigitte se jette par la fenêtre. « Je m’étonne qu’après une reprise à temps partiel thérapeutique, on exige de moi d’atteindre cinq objectifs, comme une collègue toujours à temps plein », déclarait-elle dans son dernier entretien.

On peut lire ce récit dans un document sur les conditions de travail dans le service de Brigitte, une expertise réalisée par un cabinet indépendant, Isast (1), à la demande du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Émaillée de témoignages saisissants, cette étude pointe l’attitude de la direction et une organisation du travail défaillante. Face à ce résultat accablant, trois représentants syndicaux de SUD-PTT et un de la CGT ont demandé une extension de l’expertise à d’autres services du centre financier de La Poste. La démarche leur a valu d’être assignés, le 14 juin, par la direction devant le tribunal de grande instance de Paris. Une procédure qui contredit la promesse de « grand dialogue » social annoncée en mars dernier par le PDG, Jean-Paul Bailly.

Les syndicats rappellent qu’à la suite de nombreux suicides, plus de 70 par an selon eux, la direction a mis en place une dizaine de mesures, notamment la création d’une commission présidée par Jean Kaspar, ancien secrétaire général de la CFDT, qui se veut « un examen complet de la vie au travail […] avec les syndicats et les postiers », et ce « dans chaque établissement de La Poste ». Le procès des quatre syndicalistes a donc provoqué un tollé, qui a mobilisé quelques centaines de postiers devant le Palais de justice le 14 juin, et suscité une grève nationale, peu suivie, à l’appel des deux syndicats majoritaires, CGT et SUD-PTT. Ceux-ci revendiquent « un gel des restructurations des services et des suppressions d’emplois, et un changement radical du management au sein du groupe ». Les syndicats dénoncent aussi une instrumentalisation de la commission Kaspar, qualifiée d’ « opération de propagande » orchestrée par la direction. « Lors des séances, la direction ment et refuse de reconnaître ses erreurs », affirme Gaëlle Differ, du syndicat SUD-PTT. Mi-avril, les dirigeants ont cependant suspendu les réorganisations de services. Récurrentes, celles-ci avaient conduit le service de Brigitte à modifier sans cesse les procédures. « C’est une sorte de laboratoire et nous en sommes les cobayes », lit-on dans les propos recueillis par le cabinet, qui note que le travail soigné est dévalorisé au profit du rendement.

Le malaise vient aussi du fait que le groupe a connu 90 000 suppressions de postes en dix ans, souligne la CGT. La direction est accusée d’employer le harcèlement ou la mise au placard pour pousser les salariés dehors. Astrid Herbert-Ravel, ex-directrice des ressources humaines en congé longue maladie, dénonce ce harcèlement institutionnalisé. Syndicalistes, femmes enceintes : tous les profils et statuts sont concernés. « Quand des dirigeants arrivent dans un service, ils font le vide, se débarrassent de l’ancienne équipe et nomment leurs amis aux postes clés. Pour les contrats privés, la direction trouve une faute minime, menace la personne de licenciement et propose un arrangement financier. Quant aux fonctionnaires, ils sont soumis à une pression de chaque instant et privés de leurs activités pour qu’ils démissionnent », commente Jean-François Thomas, de SUD-PTT. Conséquence : « Les agents se sont surpris à ne plus vraiment s’émouvoir des collègues qui “craquent et se mettent à pleurer”  », rapporte l’ISAST. Au tribunal, la direction dénonce le fait que la demande du CHSCT n’ait pas été inscrite à l’ordre du jour des réunions internes. Une attaque de pure forme face à un immense problème de fond. Délibéré annoncé pour le 5 juillet.