« Comme les États-Unis à leur naissance »

Les analystes américains regardent la crise européenne avec ambivalence. Correspondance à New York, Alexis Buisson.

Alexis Buisson  • 26 juillet 2012 abonné·es

Steven Hill aime l’Europe. Et il voudrait qu’il en soit de même pour ses compatriotes. En janvier 2010, cet éditorialiste américain, ancien directeur du programme de réforme politique au sein du think tank libéral New America Foundation, a écrit Europe’s promise  : Why the European Way is the Best Hope in an Insecure Age, véritable ode à l’Europe. Assurance santé, retraite, système d’éducation et « capitalisme social » contre « capitalisme de Wall Street »  : Hill est convaincu que les Américains ont beaucoup de choses à en apprendre. Aujourd’hui, alors que l’Europe est vue des États-Unis comme un continent malade, il soutient que son message est toujours d’actualité : « L’Europe a toujours beaucoup de choses à offrir, assure-t-il. Déjà, en 2000, la presse américaine disait que l’Europe était malade alors qu’elle accueillait plus de sièges de grandes entreprises que n’importe quel endroit au monde. »

La vision américaine de l’Union européenne n’est pas uniforme. En dehors des cercles de décideurs, peu d’Américains savent ce qu’est l’UE. Et même dans ces cercles, on a parfois du mal à cerner cet objet politique inabouti, à la fois partenaire et rival économique, allié militaire oscillant depuis ses origines entre désir de grand large et rejet de l’atlantisme. Du coup, « les Américains sont ambivalents par rapport à l’Europe, estime Dan Hamilton, directeur du Centre des relations transatlantiques à l’université John-Hopkins. Mais c’est parce que les Européens eux-mêmes n’ont pas une vision cohérente de l’Union européenne. Cela se reflète dans l’image projetée à l’extérieur. » « L’Europe est-elle prête pour plus d’intégration ? », se demande la chaîne d’information CNN ; « Les faux espoirs sans fin de l’Europe », titre The Atlantic  ; « Point faible global », renchérit le Wall Street Journal  : l’UE n’a pas bonne presse ces derniers mois outre-Atlantique.

Même l’économiste Paul Krugman, qui écrivait en 2010 que l’Union européenne prouvait qu’il était possible d’allier prospérité économique et progrès social, se montre aujourd’hui plus mesuré, multipliant les éditoriaux sombres dans le New York Times. En mai dernier, il estimait la fin de l’euro possible « dans quelques mois », dans une tribune intitulée « Eurodämmerung », retraçant différents scénarios catastrophe en Grèce. Fin juin, avant le sommet de Bruxelles, le gestionnaire de fonds et spéculateur George Soros se montrait pessimiste sur l’avenir de la monnaie européenne : « Il y a désaccord sur le plan budgétaire, et le sommet de Bruxelles pourrait tourner au fiasco, ce qui serait fatal » à la monnaie unique, disait-il sur la chaîne d’actualité financière Bloomberg TV.

Un point de vue que ne partage pas Dan Hamilton : « L’Union européenne ne disparaîtra pas, mais elle est à un moment décisif de son histoire. Jusqu’à présent, elle a été un projet de paix. Il faut qu’elle devienne plus que cela ». L’obstacle vers plus d’intégration est tout trouvé : la France. *« Les Français sous-estiment ce que les Allemands sont prêts à faire. Les Allemands, comme la plupart des autres pays de l’Union, n’ont pas la structure centralisée de l’État français. Compte tenu de leur histoire, qui a détruit leur identité nationale, ils peuvent se projeter dans une structure supranationale comme l’Union européenne, contrairement aux Français, qui ont une plus grande conscience d’eux-mêmes. » « François Hollande peut faire ce qu’il veut en France, mais pas au niveau européen poursuit Dan Hamilton. Il fera comme François Mitterrand : après avoir défendu des politiques de gauche, il réalisera qu’elles ne sont pas adaptées. L’Europe pourrait perdre du temps. »

« L’Europe doit se transformer profondément au niveau politique »,* estime Steven Hill, qui voit des similitudes entre les difficultés actuelles de l’UE et celles rencontrées par les États-Unis à leur naissance. « L’Amérique est partie en guerre civile alors qu’elle avait une constitution. Dans les premières heures de la République, plusieurs États étaient endettés et ont fait faillite, comme la Grèce aujourd’hui. Lorsqu’Alexander Hamilton a proposé la création d’un système monétaire unifié avec le dollar, il y a eu de vives oppositions. L’Europe est au milieu de tout cela », souligne-t-il. L’europhile plaide pour la création d’eurobonds, d’un renforcement du rôle de la Banque centrale européenne et, à terme, l’institution d’une « union de transferts » dans laquelle les États les plus pauvres seront aidés par les plus riches, à l’instar de l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest. « L’Europe va continuer sa marche vers les États-Unis d’Europe, affirme-t-il. C’est toujours deux pas en avant, un pas en arrière. » 

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