Sandra Nkaké : Troubadour touche-à-tout

Artiste défiant joyeusement les étiquettes, Sandra Nkaké conçoit la musique comme un espace d’échange et de partage.

Lorraine Soliman  • 26 juillet 2012 abonné·es

Généralement, quand on évoque un(e) artiste qui évolue « loin des sentiers battus », c’est que l’autoroute est limitrophe. Avec Sandra Nkaké, l’expression creusée par l’usage reprend tout son sens. Chanteuse en tous genres, grande improvisatrice improvisée, compositrice éclairée, conteuse fascinante, comédienne juste et sincère, graphiste à ses heures, elle défie les étiquettes et les « créneaux » le plus naturellement du monde.

« Mon public ? Il est très varié. Il y a des hip-hoppeurs, des fans de jazz, des fans de funk, de rock, de reggae, des grands bourgeois, des énarques, des ouvriers, des artisans… Tout le monde se croise, se mélange et finit par discuter, c’est assez magique. » Hors-piste, mais surtout pas loin des gens. Chaque concert de Sandra Nkaké se termine de l’autre côté du miroir, en discussion « frontale » avec la salle, « parce que finalement, quand j’amène mes enfants à l’école, quand je vais faire mes courses, quand j’écris des chansons et quand je vais voter, je suis la même personne. Il n’y a pas de différence, si ce n’est que sur scène je revêts l’habit du troubadour et essaie de m’effacer pour que les histoires des personnages puissent toucher les gens au plus près ».

C’est que le talent brut et l’assurance féconde de Sandra Nkaké trouvent ancrage dans une histoire faite de hasards et de rencontres, tout en modestie. Rien, ou presque, ne destinait la Franco-Camerounaise à épouser la voie du chant, du moins à un tel niveau : « Au départ je voulais être journaliste, et puis prof d’anglais. Évidemment, j’ai toujours chanté, notamment sous ma douche [rire], mais je n’ai jamais pris un cours de musique ! Ce métier m’a choisie, et j’ai réussi à travers lui à réunir tout ce que j’aimais. Mais il m’a fallu pas mal d’autogalvanisation pour y parvenir. » Elle, dont la voix émouvante et grave, légèrement voilée, était initialement limitée au registre alto, d’un éclat de rire est propulsée vers les aigus, et se découvre un ambitus beaucoup plus large que prévu. Depuis, l’exploitation de ce potentiel fait merveille. De son enfance tourmentée entre Paris et Yaoundé, bercée par Manu Dibango, Francis Bebey, Miriam Makeba, mais aussi Chopin, Tom Waits, Nina Simone, Joan Baez ou Léo Ferré, il lui reste un talent inouï pour relier ces univers parfois très différents et en faire une musique qui « communique des émotions, des questionnements sur comment on se construit, comment on essaie d’affirmer son unicité ».

Autrement dit, la musique n’est pas une fin en soi, mais un espace de partage où l’esthétique sert nécessairement un propos. C’est ce qu’elle montre aux côtés de l’inclassable Jî Drû notamment, avec lequel elle monte le collectif Push Up ! en 2009. Et puis en solo, avec deux très beaux (et très dissemblables) albums à son actif, Mansaadi en 2008, et aujourd’hui Nothing For Granted (2012, Jazz Village). Chanter en anglais ? Une évidence quand on a grandi dans une famille bilingue, mais qui ne l’empêche nullement d’interpréter Brassens avec le tact de ceux qui savent que rien n’est acquis.

Musique
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