Vincent Peillon : «Offrir les mêmes chances à tous»

Le ministre de l’Éducation expose ici sa conception de l’école républicaine et détaille les chantiers prioritaires de son ministère.

Clémence Glon  • 30 août 2012 abonné·es

Même si les mesures prises par le gouvernement seront fatalement orientées par la politique budgétaire, Vincent Peillon entend développer sa conception globale de l’école. Et revient sur les idées et les valeurs qui l’animent à la tête du ministère de l’Éducation nationale.

Qu’entendez-vous par « refondation républicaine de l’école » et « refondation de la République par l’école » ?

Refonder l’école de la République et refonder la République par l’école, c’est un seul et même mouvement. Pourquoi ? Parce que, dans notre histoire, c’est en effet à l’école qu’il est revenu d’établir la République, selon l’idée – celle de Ferry, mais aussi de Victor Hugo, d’Edgar Quinet, de Michelet et de Condorcet – que pour faire la République il faut des républicains, des femmes et des hommes libres, égaux, fraternels, ce qui suppose l’instruction et la justice. La République, c’est le règne de la raison. Et la capacité de raisonner, de critiquer, de douter s’acquiert d’abord à l’école.

À propos de Ferdinand Buisson, vous avez parlé de « religion républicaine ». Défendez-vous toujours cette expression et ne craignez-vous pas qu’elle produise une sorte de dogmatisme républicain ?

Cette question appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, comme vous l’indiquez, j’ai employé cette expression à propos de Ferdinand Buisson, père fondateur de la ­laïcité, philosophe, républicain, socialiste et pédagogue. Buisson est mort en 1932, il y a quatre-vingts ans. Retracer son histoire, c’est faire une histoire des idées. Que ces idées soient constitutives de notre identité républicaine n’implique pas – au contraire ! – qu’elles soient immuables. Elles s’inscrivent dans un contexte et des combats, dans une vision de l’avenir aussi. Elles ont évolué, se sont adaptées et doivent continuer à le faire sous peine de faner et de mourir. Autrement dit, s’inscrire dans une tradition, ce n’est pas répéter, c’est s’inspirer et poursuivre. C’est comprendre ce qu’il y a d’universel et d’intemporel dans une idée, une foi, une œuvre pour les conjuguer au présent et, plus encore, au futur.

Sur le fond, je crois que l’expression « dogmatisme républicain » est particulièrement mal choisie pour évoquer la pensée de quelqu’un qui craignait par-dessus tout la création d’un catéchisme républicain ou d’une orthodoxie laïque. Si religion républicaine il doit y avoir, ce n’est certainement pas dans l’expression d’un credo exclusif qui interdirait l’expression de différences, mais au contraire dans la conviction que seule la République, une République laïque appuyée sur le socle de l’école, peut rassembler au-delà de ces différences, les faire cohabiter, être le projet commun de toutes les diversités.

Quelles sont les grandes valeurs qui doivent, selon vous, guider la politique éducative actuelle ?

Je ne vous surprendrai pas en vous répondant très simplement et logiquement : liberté, égalité, fraternité. La liberté est le principe et le but de toute organisation politique démocratique et républicaine. Apprendre à en user, dans le respect de l’autre et de la loi ; en mesurer la valeur et la fragilité ; avoir l’envie et les moyens de la rechercher, de la défendre et de la préserver ; être capable de se libérer des chaînes sociales, économiques, culturelles qui limitent l’horizon des jeunes : c’est cela l’objectif même d’une éducation républicaine.

L’égalité, c’est ce qui a été le plus abîmé ces dernières années. Non seulement l’école ne réduit pas les inégalités, mais elle tend désormais à les accroître. Le déterminisme social et scolaire est extrêmement puissant dans notre pays. Il nous faut renouer avec cette ambition d’une école qui offre véritablement les mêmes chances à tous, sur tout le territoire, et qui pour cela soit capable de prendre en compte des spécificités, des difficultés particulières de tel milieu, de tel élève, pour mieux les compenser et les dépasser. Cette égalité est une condition de la liberté. L’égalité, ce n’est pas l’uniformité !

La fraternité, enfin, nous devons la faire vivre dans une école qui a trop mis en avant la sélection et la compétition, au détriment de la ­coopération et de la collaboration. Nous avons une petite révolution culturelle à mener pour convaincre les Français que la réussite de tous et l’émergence d’une élite ne sont pas contradictoires, qu’elles se renforcent au contraire l’une et l’autre.

Quelle différence voyez-vous entre une école « gouvernée » par la droite et une école « gouvernée » par la gauche ? Existe-t-il des différences de contenu dans les programmes ?

Les différences sont énormes – et vous le verrez très vite. La première d’entre elles est que nous considérons l’école comme un investissement – pour chaque enfant et pour le pays tout entier – et non comme une charge. Si nous sommes convaincus, à gauche, que les moyens ne font pas tout, nous savons aussi la valeur d’un enseignant bien formé, d’un professionnel spécialisé, par exemple, dans la lutte contre la difficulté scolaire, d’un encadrement suffisant, de matériel pédagogique de qualité et moderne : tout cela, il est vrai, a un coût, mais c’est un coût que la nation peut et doit supporter.

La seconde différence, et elle n’est pas moins majeure, c’est que nous refusons le tri et la sélection précoce. Nous considérons que tous les enfants peuvent s’élever, progresser, et que le devoir de l’école, comme le disait le philosophe Alain, c’est de s’employer à les faire réussir tous plutôt que de « donner un air de justice à l’inégalité » en extrayant quelques élèves de leurs quartiers et de leurs établissements. Sur les programmes, en revanche, il n’y a pas – il ne devrait pas y avoir – de différence entre la droite et la gauche républicaine. Si je juge par exemple que ceux de 2008, en usage à l’école primaire, méritent d’être repensés, c’est parce qu’ils sont conçus sur une vision que j’estime étriquée du socle commun – pas parce qu’ils sont de droite. La meilleure manière, d’ailleurs, d’éviter les procès en idéologie autour des programmes, c’est de réinstaurer des procédures d’élaboration plus transparentes et plus collégiales. Nous y réfléchissons.

Quelle est, selon vous, la fonction première de l’école ?

Il n’y en a pas une, mais trois : instruire, éduquer, insérer. Elles sont indissociables : cela n’a aucun sens d’opposer une école qui préparerait à la vie professionnelle à une autre qui ne formerait que des purs esprits. Cela n’en a pas davantage de choisir entre instruction et éducation : l’école transmet évidemment des savoirs et des connaissances, mais également, comme le rappellent d’ailleurs les textes, des valeurs, ainsi que des compétences sociales qui permettent à chaque enfant de développer sa personnalité, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle et d’exercer sa citoyenneté.

Pourquoi avoir fait de l’école primaire votre priorité ?

Parce que c’est là que tout commence et que beaucoup se joue, parce qu’il faut commencer par le commencement, parce que les élèves qui ont redoublé leur CP ont 8 % de chance d’avoir leur bac… Parce que ce n’est pas à la fin du CM2, contrairement à ce que préconisait la droite, qu’il faut se préoccuper de savoir si un enfant est en mesure, ou non, de suivre au collège, mais bien avant.

La France a fait de longue date ce choix absurde de concentrer ses efforts sur la fin du secondaire, en conservant le plus bas taux d’encadrement en primaire de tous les pays de l’OCDE. Tous les enseignants disent que, lorsqu’ils voient un enfant arriver en 6e avec de lourdes lacunes, ils savent d’avance qu’ils auront beaucoup de mal à le remettre à flot. Or, ces lacunes concernent un quart des élèves ! Ce n’est pas acceptable.

Nous devons non seulement rééquilibrer les moyens financiers et humains en faveur du primaire, retrouver la capacité, par exemple, à accueillir de nouveau les enfants de moins de 3 ans, mais aussi, faire un gros effort pédagogique. C’est pour cela que je préfère qu’il y ait davantage de maîtres que de classes là où c’est nécessaire, plutôt que de diminuer d’un ou deux le nombre d’élèves par classe partout.

Face à la crise de vocation, que comptez-vous faire pour revaloriser l’image des enseignants ?

Ceux qui méprisent et critiquent les enseignants me trouveront toujours sur leur route. Les Français n’ont globalement pas une ­mauvaise image de leurs enseignants – des sondages récents l’ont montré. Ces derniers ont cependant souffert de longues années de dédain et de mésestime, de la part du pouvoir politique davantage d’ailleurs que de celle de leurs concitoyens. C’est terminé.

Le pire, ces dernières années, a été de faire croire qu’enseigner n’était pas un métier qui méritait d’être appris. La première des revalorisations sera de restaurer une formation professionnelle, initiale et continue, digne de ce nom, au sein des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation que nous allons créer. Ce que les enseignants réclament avant tout – avant même la question des salaires, dont je ne sous-estime pas l’enjeu –, c’est d’avoir les moyens de faire réussir leurs élèves.

Je crois que la crise des vocations est largement liée à l’abandon dans lequel l’école, notamment dans les territoires les plus en difficulté, a été laissée pendant trop longtemps. Lorsque l’on supprime 77 000 postes en cinq ans, il n’est pas étonnant que le métier n’apparaisse pas, aux yeux des étudiants, comme un métier d’avenir. Nous allons recruter, ouvrir les concours, pré-recruter, car la mastérisation a détourné les étudiants les plus modestes. L’enseignement doit redevenir une voie de promotion sociale.

Quels arguments plaident, selon vous, en faveur de la maternelle obligatoire et du collège unique ?

Toutes les études internationales montrent que les pays qui ont les meilleurs résultats sont ceux qui ont un tronc commun long et large. Répondre à l’hétérogénéité des élèves par une orientation précoce – quand la France sélectionne déjà trop brutalement, et par l’échec – serait un retour en arrière et un contresens absolu. C’est une voie sans issue, pour les élèves concernés comme pour le système dans son ensemble. Tous les élèves doivent maîtriser le socle commun, une culture commune : c’est indispensable pour leur poursuite d’études comme pour leur insertion professionnelle.

Ce socle, il faut d’ailleurs le repenser pour que le collège cesse d’être l’antichambre du seul lycée général. C’est d’ailleurs la première des conditions pour valoriser l’enseignement professionnel – ce n’est pas en orientant des jeunes en grande difficulté en fin de 5e que l’on construira la voie d’excellence professionnelle dont notre pays a besoin.

Quant à la maternelle, c’est un autre sujet. Près de 100 % des enfants sont déjà scolarisés en maternelle. La rendre obligatoire poserait de redoutables problèmes d’organisation pour un résultat par définition nul. Ce qu’il faut, c’est, d’une part, garantir absolument l’accueil des enfants de plus de 3 ans, et, d’autre part, développer de manière très importante l’accueil des moins de 3 ans, particulièrement bénéfique pour les enfants des milieux les plus modestes. C’est un engagement du président de la République, que je travaille à mettre en œuvre.

Publié dans le dossier
L'école selon Peillon
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