Allemagne : L’austérité jugée conforme

La Cour constitutionnelle pose des conditions au Mécanisme européen de stabilité, mais autorise le nouveau traité budgétaire.

Rachel Knaebel  • 20 septembre 2012 abonné·es

«Une bonne journée pour l’Allemagne, une bonne journée pour l’Europe », se félicitait Angela Merkel, mercredi 12 septembre, face au Bundestag. C’est la décision (provisoire, le jugement définitif étant attendu dans quelques mois) rendue le matin même par la Cour constitutionnelle allemande qui réjouissait tant la chancelière.

Les huit sages en robe rouge ont rejeté les plaintes déposées fin juin contre le Mécanisme européen de stabilité (MES), futur fonds de secours permanent de l’Union européenne, et le Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Plaintes déposées par des profils aussi différents que le parti de la gauche radicale Die Linke, le député conservateur Peter Gauweiler et 37 000 citoyens réunis derrière l’association Mehr Demokratie (Plus de démocratie). Le Parlement allemand avait adopté les deux mesures avant l’été. Après le feu vert du tribunal, l’Allemagne les a ratifiées. Les juges ont tout de même émis des réserves sur le MES et soumis sa conformité à la Constitution à deux conditions. D’une part, l’implication de l’Allemagne ne doit pas dépasser 190 milliards d’euros, comme prévu dans le traité, et toute participation supplémentaire devra être acceptée au Bundestag. D’autre part, le Parlement allemand devra pouvoir s’informer sur les opérations et décisions du conseil de direction du MES (le traité prévoyait la confidentialité). « C’est un succès très limité », regrette Michael Schlecht, député Die Linke. Ce parti avait été le seul à voter d’un bloc contre l’adoption du traité. Les gardiens de la Constitution n’ont, eux, rien trouvé à redire au TSCG. Or, celui-ci ne prévoit pas seulement d’inscrire dans la loi (et, en Allemagne, dans la Constitution ([^2])) la « règle d’or » de limite du déficit structurel à 0,5 % du PIB, mais aussi de soumettre à la Commission européenne les réformes économiques entreprises par les États en déficit élevé. « La Cour n’a pas vu que le traité allait vers une prise de contrôle de Bruxelles sur la politique budgétaire des États », estime le professeur de droit public Andreas Fisahn, auteur d’une étude sur le TSCG.

Le tribunal constitutionnel a pourtant toujours mis en avant les droits démocratiques du Parlement dans ses décisions européennes. Mais, ici, les juges estiment que l’approbation obligatoire de la Commission ne constitue pas une « emprise directe » des organes de l’UE sur le législateur national en matière de budget. La Cour juge les nouvelles règles du traité équivalentes, sur le principe, à la règle d’or déjà adoptée en Allemagne en 2009, et semblables, sur le fond, à celle du traité de Maastricht (qui contraignait à un déficit de 3 % maximum du PIB). « Il est curieux de dire que le traité budgétaire ne diffère pas des critères de Maastricht, parce que ceux-ci n’étaient pas inscrits dans la Constitution. C’est une différence de taille », remarque Andreas Fisahn. Le jugement ne critique pas non plus le caractère irréversible du TSCG, qui ne prévoit aucune possibilité pour un pays signataire d’en sortir, sauf à quitter l’UE. « Les juges ne voient pas qu’une autre politique économique est possible », analyse le juriste.

Pour Peter Wahl, cofondateur d’Attac Allemagne, « la Cour tente de s’opposer à une érosion rampante de la souveraineté démocratique, mais elle se trouve dans une position de plus en plus faible. » Outre la réaffirmation douce des droits du Bundestag, il reste un autre point positif dans ce jugement : le fait que 37 000 citoyens se soient joints à la plainte de l’association Mehr Demokratie. Celle-ci réclame l’organisation de référendums (pourtant exclus aujourd’hui de la Constitution allemande) pour toutes les nouvelles cessions de souveraineté vers l’UE.

[^2]: En France, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il n’était pas nécessaire de modifier la Constitution pour ratifier le TSCG.

Monde
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