Chez nos voisins

En Angleterre, en Allemagne et en Italie, la presse jouit d’une bonne santé, comparée à celle de la presse hexagonale.

Olivier Doubre  • 20 septembre 2012 abonné·es

En Angleterre, pays où la presse écrite est certainement la plus ancienne du monde, les grands journaux continuent de revendiquer des ventes impressionnantes [^2]. Elles ont certes baissé, comme partout ces vingt dernières années, en particulier en kiosque, mais la presse doit toutefois sa relative bonne santé au système très développé de portage à domicile, tradition qui assure aux journaux un fort taux d’abonnements. Quant à Internet, si les tabloïds ont une grande partie de leur site en accès gratuit, les quotidiens dits de qualité ont tendance à être presque entièrement payants, mais en proposant des rabais importants pour les offres combinant papier et Internet. Cela permet, dans les familles, d’avoir une édition papier pour les plus âgés, tandis que les plus jeunes lisent sur leurs ordinateur, smartphone ou tablette. En fait, la grande difficulté actuelle de la presse outre-Manche sera de retrouver une crédibilité et la confiance de ses lecteurs, largement entamées par le scandale des écoutes téléphoniques sauvages effectuées par la rédaction du tabloïd News of The World, que Ruppert Murdoch a fermé depuis.

L’Italie a également une grande presse écrite et compte bien plus de titres quotidiens nationaux et régionaux que la France. Là encore, les ventes quotidiennes ont chuté ces dernières années, en raison de la baisse de la fréquence d’achat de quotidiens et de la désaffection de la jeunesse pour le papier. Celle-ci est frappée très durement par le chômage et touche les salaires les plus bas d’Europe. Les journaux ont réagi en augmentant leur prix au numéro, qui reste toutefois globalement moins élevé qu’en France. Mais le nombre important de titres s’explique par une politique ancienne d’aides publiques aux journaux, mise en place à la Libération pour soutenir le pluralisme d’une presse sortant de vingt ans de fascisme. Bien que ces aides aient été réduites par le gouvernement Berlusconi pour cause d’austérité budgétaire, l’actuel gouvernement Monti les a réaugmentées pour les journaux publiés depuis au moins cinq ans, liés à des partis politiques ou produits par des coopératives indépendantes. Les grands quotidiens en bénéficient donc moins, mais ont largement développé leurs sites web, en grande partie payants, parvenant non sans mal à esquisser un modèle économique qui joue de la combinaison des éditions papier et numérique.

Quant à l’Allemagne, en dépit des mêmes problèmes de baisse des ventes (- 25% depuis dix ans pour les ventes en kiosque), la presse bénéficie comme en Angleterre d’une tradition de porteurs à domicile (de l’ensemble des titres) très développée, donc d’un grand nombre d’abonnés, condition d’une relative stabilité économique. Les abonnements offrent des tarifs très dégressifs, et les lecteurs les renouvellent volontiers d’année en année. Surtout, dans les grandes villes, le système de portage s’est adapté aux conditions de vie, chaque porteur possédant souvent un double des clés des boîtes aux lettres et des entrées d’immeuble, ce qui n’est rentable que si beaucoup de journaux sont livrés dans la même copropriété. Dans les campagnes, ce système de portage est de fait subventionné par les grands journaux, tel Bild (2,5 millions d’exemplaires par jour), les titres avec moins d’abonnés bénéficiant du portage des plus importants.

La relation entre le papier et l’édition numérique est sans doute la plus développée. Ainsi, le quotidien de la gauche critique berlinoise, très liée au mouvement écolo et altermondialiste, le Taz, a proposé à ses abonnés des éditions papier et numérique de leur « offrir » une tablette – pour un euro par semaine en plus du prix de l’abonnement. Différents tarifs sont proposés aux abonnés, selon leurs revenus, et beaucoup de membres « bienfaiteurs » compensent les rabais accordés aux moins fortunés. Le Taz a par ailleurs décidé de mettre son édition en ligne en accès entièrement gratuit, et mentionne à la fin de chaque article la possibilité de verser une somme d’argent, même infime, « si l’article vous a plu, la liberté de la presse ayant un prix… » Une sorte d’abonnement libre et ponctuel à l’article. Peut-être une voie à explorer ?

(2) En 2005, 6,5 millions d’exemplaires étaient vendus par jour tous quotidiens confondus, aujourd’hui à peine plus de 4 millions.

[^2]: En juin dernier, The Times a vendu 400 000 exemplaires par jour, The Daily Telegraph près de 600 000. Quant aux tabloïds, The Mirror dépasse le million d’exemplaires, The Sun plus de 2,6 millions !

Publié dans le dossier
La presse écrite a-t-elle un avenir ?
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