Copropriétés en faillite

Alors que Cécile Duflot fait du logement social son cheval de bataille, l’habitat précaire continue de s’étendre au sein des copropriétés privées. Exemples à Grigny 2 et à Clichy-sous-Bois.

Clémence Glon  • 27 septembre 2012 abonné·es

La porte est grande ouverte. Le vent s’engouffre dans l’entrée pour venir mourir dans la cage d’escalier. Au pied des tours du square Surcouf, dans le quartier Grigny 2 (Essonne), les interphones ne servent plus à rien. Les couloirs jaunis par la lumière des ampoules en fin de vie sont accessibles à tous. Un des deux ascenseurs ne fonctionne pas et il faut descendre dans le local à poubelles pour prendre celui qui a le mieux résisté à l’usure du temps.

Grigny 2 est la deuxième plus grande copropriété de France : 105 immeubles, 5 000 logements, dans lesquels vivent 17 000 personnes. Et pour gérer tout ça, 29 syndicats de copropriétaires. Depuis les années 1970, le manque d’entretien des bâtiments et l’absence d’isolation phonique et thermique ont chassé les classes moyennes, remplacées par des occupants aux revenus modestes. Les travaux sont beaucoup trop chers pour être réalisés à leurs frais. Les charges augmentent et peuvent atteindre jusqu’à 1 200 euros par trimestre. Dans cette spirale de la précarité, le prix à l’achat baisse – 1 700 euros le m2 –, et la location à la découpe prospère. En mars 2012, un marchand de sommeil a été condamné par le tribunal d’Évry pour avoir logé plusieurs familles dans un même appartement. La copropriété de Grigny 2 n’est pas encore insalubre. « Les bâtiments ne s’effondrent pas, concède Cyrille Lewandowski, chargé de projet au groupement d’intérêt général (GIP) de Grigny et de Viry-Châtillon. Il n’empêche qu’il faut agir vite. » Au douzième étage, faute d’aération, Adélard cuisine avec la porte de son studio entrebâillée. Sur son palier, l’odeur de l’omelette qui frémit vient se mélanger à celle d’urine émanant des escaliers. « Le ménage est pourtant fait tous les jours, explique-t-il. Mais les escaliers sont squattés chaque après-midi et aussi en soirée. » Âgé de 46 ans, Adélard habite le square Surcouf depuis six ans. Il loue à un particulier ses quelque 20 m2 pour 448 euros par mois, charges comprises. Au sol, du béton brut. « J’ai dû enlever les carrés de moquette, gorgés de poussière », s’excuse presque l’occupant. Au-dessus de sa tête, le crépi gondole et se couvre doucement de moisissure. Malgré le loyer qu’il perçoit, son propriétaire n’a toujours pas entrepris les travaux. Par manque de moyens ou par négligence ? Ce qui inquiète le plus Adélard, c’est son unique fenêtre. Le bois pourri s’émiette et retient à peine le carreau. « Je ne peux plus l’ouvrir. Elle tomberait. » Sur les photos posées contre la télé, les deux enfants d’Adélard posent au pied de la tour Eiffel. Ils vivent chez leur mère, du côté d’Amiens, et viennent à Grigny séparément pendant les vacances. Leur père voudrait déménager depuis plusieurs années. L’ « ambiance » d’ici lui pèse, comme les trajets de RER pour aller travailler en tant qu’agent de sécurité à Paris. Mais ni la mairie de la capitale ni celle de Grigny – vers laquelle il s’est tourné par défaut – ne peuvent lui fournir un logement social.

Les copropriétés dégradées sont l’unique alternative à la rue des personnes qui n’ont pas accès au parc locatif classique, notamment public. Et les 150 000 logements sociaux que Cécile Duflot s’est engagée à construire n’arrangeront pas nécessairement la situation. « Tout va dépendre du type de logement social. Le prêt locatif social (PLS) [accordé à des propriétaires qui s’engagent à respecter un plafond de loyer et de revenus des locataires] ne lutte en rien contre l’exclusion », estime Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre. En France, près de 600 000 personnes vivent dans des conditions d’habitat indigne liées à l’insalubrité ou au surpeuplement. Parmi elles, 240 000 sont des propriétaires occupants. Autre figure de cette décrépitude à grande échelle, la copropriété du Chêne pointu de Clichy-sous-Bois a attiré l’attention de Cécile Duflot. Ce quartier de 6 000 habitants bénéficie depuis le 17 septembre d’un plan de réhabilitation de 60 millions d’euros signé entre le ministère du Logement et les collectivités locales. Après la réparation de 16 ascenseurs dès octobre, l’État devrait racheter du locatif privé pour le restaurer et le transformer en logements sociaux. « Cette stratégie de portage est utile à court terme, mais elle ne peut pas être considérée comme un outil de lutte contre les propriétaires frauduleux », tempère Cyrille Lewandowski. D’autant que le dispositif demeure très local. « Grigny 2 n’est pas encore l’enfer du Chêne pointu. Cependant, il s’y dirige doucement. Il faut un deuxième plan d’urgence ! »

Les procès contre les marchands de sommeil restent ponctuels, et les condamnations tombent des années après le début de la procédure. Le propriétaire incriminé a donc le temps de revendre une bonne part de ses appartements. « Personne ne peut interdire d’acheter ou de vendre un logement. Il y a un dogme absolu de la propriété individuelle », explique Cyrille Lewandowski. Deux voies principales s’offrent alors au gouvernement pour intervenir. Sur le plan juridique, il serait nécessaire de revoir la loi de 1965, qui régit la gestion de la copropriété et complexifie toute intervention des pouvoirs publics. Le texte, rédigé à l’échelle d’un immeuble, est inapplicable pour une ville-quartier telle que Grigny 2. Au niveau administratif, les outils d’action restent à créer. « Il faudrait mandater des aménageurs spécialisés dans le droit des copropriétés pour intervenir sur le terrain, poursuit Cyrille Lewandowski. Nous sommes face à une population hétérogène, et le risque est de faire fuir les derniers propriétaires solvables. » Les propriétaires sans scrupule ne sont pas les seuls à profiter de la misère. Des agents immobiliers n’hésitent pas non plus à s’enrichir sur le dos d’une population mal informée. Une étude menée à l’échelle de Grigny 2 montre que 90 à 95 % des personnes reçues par des travailleurs sociaux pour des impayés de charges en ont découvert l’existence au moment de les régler. Espérons que la proposition de Cécile Duflot sur la régulation du métier d’agent immobilier ne reste pas lettre morte.

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