Urbanisme : Gonesse cultive le béton

Un immense complexe dédié au commerce de luxe et aux loisirs est prévu sur les dernières terres agricoles de la banlieue nord de Paris. En pleine polémique sur les grands projets inutiles.

Thierry Brun  • 20 septembre 2012 abonné·es

Dominique Plet balaie d’un geste l’étendue de champs vers le sud du Triangle de Gonesse, non loin de la Francilienne, la voie express qui les traverse et relie la ville de Gonesse à l’autoroute du Nord : « C’est dans cette partie-là que je cultive du blé, du maïs et du colza. 125 hectares. C’est une exploitation moyenne. Ma famille est sur ces terres depuis quatre générations. » L’agriculteur s’avance sur ce qui reste du territoire de la Plaine de France, les dernières terres agricoles de la banlieue nord de Paris, coincées entre les aéroports de Roissy et du Bourget. « En tout, 700 hectares de très bonnes terres, très fertiles », exploitées par une dizaine d’agriculteurs, explique-t-il devant des pieds de maïs dont la vigueur soutient son propos. « Ici, on n’arrose pas le maïs. Il pousse tout seul. » C’est sur ces terres que devrait voir le jour Europa City (voir ci-contre), un des équipements luxueux « de dimension européenne », proposé par l’établissement public d’aménagement (EPA) de la Plaine de France, l’aménageur de cette partie du Triangle de Gonesse, qui a obtenu le financement de l’Union européenne.

En roulant sur le chemin cabossé qui mène de Gonesse à Villepinte, Dominique Plet et des membres du Collectif pour le Triangle de Gonesse, qui s’est constitué pour protester contre la destruction des terres agricoles, montrent un groupe de cailles prenant son envol. « Le petit gibier abonde, le Triangle de Gonesse ayant encore quelques arpents de bois », commente l’agriculteur. Puis, arrêtant son véhicule, il indique : « C’est ici qu’on doit construire une gare. » En plein milieu des champs, une gare du Grand Paris relierait les RER D et B avec un réseau de bus, un métro automatique et un « barreau ferré ». « Pendant le débat public sur le Grand Paris, une réunion publique s’est tenue à Gonesse fin 2010. Immochan, filiale du groupe Auchan, est intervenu pour parler de son projet Europa City en le conditionnant à la création de cette gare, et l’a obtenue », relate Bernard Loup, président de Val d’Oise Environnement et membre du Collectif pour le Triangle de Gonesse. Ces infrastructures très coûteuses, payées sur fonds publics, préfigurent une urbanisation qui ne laissera « aucune chance de survie aux terres agricoles encore cultivées », estiment les associations environnementales. « Europa City est un projet pharaonique qui n’a rien à voir avec le développement durable, estime l’écologiste Alain Amédro, vice-président du conseil régional d’Île-de-France, en charge de l’aménagement du territoire. L’arbitrage de 2008 concernant le schéma directeur de la région [Sdrif] avait classé les 700 hectares en zone urbanisable. On est revenu sur cet arbitrage pour classer 400 hectares en zone agricole protégée, et on laisse 300 hectares urbanisables, mais sous conditions. » Alain Amédro parle d’un « compromis » sur le Sdrif avec les élus socialistes, qui devrait être voté fin octobre par le conseil régional d’Île-de-France.

Le complexe commercial envisagé ** fait partie de ces « grands projets inutiles » contre lesquels bataille Claudine Parayre, au sein de la Coordination pour la solidarité des territoires en Île-de-France et contre le Grand Paris. « Ce sont des projets gaspilleurs de ressources, qui ne répondent pas aux besoins des habitants », dénonce-t-elle. Le coût d’Europa City est en effet estimé à 1,7 milliard d’euros par l’EPA de la Plaine de France, et dépasse de loin celui d’un autre « grand projet inutile », l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (estimé à 556 millions d’euros en 2010). L’établissement public a aussi prévu un « corridor aéroportuaire Roissy-Le Bourget », la construction d’une « ville aéroportuaire », un « parc techno-tertiaire » et un « parc créatif du Triangle de Gonesse », sans en chiffrer le coût. L’ensemble est situé sur une zone « interdite à la construction de logements, en raison du plan d’exposition au bruit », rappelle Bernard Dailly, vice-président du Mouvement national de lutte pour l’environnement (MNLE 93). Les avions ne cessent d’y défiler à basse altitude, provoquant des nuisances sonores qui rendent les lieux invivables. Dominique Plet désigne un coin de la zone urbanisable : « C’est le lieu-dit de la Patte-d’Oie de Gonesse. Là, un Concorde d’Air France s’était écrasé sur un hôtel. » Guère rassurant !

Le Collectif pour le Triangle de Gonesse s’attelle depuis des mois à mobiliser les populations riveraines et les élus locaux pour combattre le bétonnage de la zone [^2]. Selon Bernard Loup, « au conseil régional d’Île-de-France, aucun groupe politique n’a fait part d’un soutien quelconque au projet Europa City. Seuls des élus du Val-d’Oise affichent ouvertement le souhait de le voir se réaliser ». En particulier Jean-Pierre Blazy, député et maire de Gonesse, qui considère Europa City « comme l’un des moteurs pour le développement du territoire ». Bernard Dailly, pour sa part, y voit surtout un mauvais coup porté à ces terres arables du Triangle de Gonesse, « une ressource agricole importante ». Alors qu’il existe « une demande croissante de produits agricoles en circuits courts, la région ne peut se permettre de continuer à sacrifier ses sols fertiles à grande vitesse, estime le Collectif.

La souveraineté alimentaire de l’Ile-de-France est inférieure à 2 %, ce qui, en période de crise durable et de baisse généralisée du pouvoir d’achat, est un non-sens ». Mais cet aspect ne semble pas préoccuper plus que ça l’EPA de la Plaine de France, qui n’a pas tardé à lancer les premières acquisitions foncières. Récemment, quelques-uns des propriétaires des terres cultivables ont été contactés par l’établissement public foncier du Val d’Oise. « On m’a proposé de racheter mes terres à 5 euros le mètre carré. C’est ridicule ! C’est très loin des prix du marché. Nous sommes dans le département où les terres sont les plus chères ! », s’étrangle Dominique Plet. Son fils, qui participait à la visite des lieux, dit vouloir exercer la même activité que son père. La relève est donc assurée pour cultiver ces terres qu’il s’agit pour l’heure de sauver. La bataille ne fait que commencer.

[^2]: Un forum du Collectif pour le Triangle de Gonesse se tiendra le 22 septembre sur le thème : « Emploi : Europa City, la grande illusion ». Maison de quartier des Carreaux-Boris Vian, 4, rue Scribe, 95400 Villiers-le-Bel, www.cptg.fr.

Écologie
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