Incitation à la corruption

L’interpellation de joueurs de l’équipe de handball de Montpellier, soupçonnés d’avoir truqué un match, a mis en lumière la multiplication des sites de paris en ligne. Ceux-ci sont devenus un marché juteux pour les organisations criminelles qui veulent blanchir de l’argent.

Lena Bjurström  • 11 octobre 2012 abonné·es

L’interpellation des handballeurs de Montpellier soupçonnés de trucage sur fond de paris sportifs a fait grand bruit. Ce n’est pourtant qu’un petit scandale en comparaison de ceux qui entachent depuis plusieurs années le sport français et international. Dans l’affaire du « Calcioscommesse » en Italie, 14 matchs de football sont remis en question depuis l’arrestation du gardien de but Marco Paolini en 2010. Les aveux de celui-ci exposent un système simple : un joueur touche une somme d’argent pour influer sur le déroulement du jeu, et des parieurs informés remportent la mise. La justice italienne met ainsi au jour un vaste réseau de corruption sportive qui remonte jusqu’à Singapour. À en croire un rapport de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), cet exemple est révélateur d’un phénomène d’ampleur, lié au développement des paris sportifs sur Internet.

Marie-George Buffet a été ministre des sports de 1997 à 2002. Elle explique ici pourquoi elle était opposée aux paris sportifs, et milite pour une agence internationale de contrôle.

« J’étais opposée à la loi de 2010 sur les paris sportifs, j’étais même contre leur autorisation. Lorsqu’il s’agit de parier sur une activité humaine, la tentation de corruption est évidente. Mais, aujourd’hui, cette question ne peut plus se régler à l’échelon national. La France peut interdire les paris sportifs, cela ne lui permettra pas pour autant un contrôle sur les milliers de sites de paris en ligne accessibles au consommateur. Et profitant d’Internet et du fait que les États se concentrent sur la lutte contre le terrorisme, les circuits criminels de blanchiment d’argent se développent sur le marché virtuel. Il faut se diriger vers la création d’une agence internationale, comme nous l’avons fait avec l’Alliance anti-dopage, qui exercerait un contrôle et un suivi des fraudes. »

Les années 1990 ont vu la multiplication de ces sites. Depuis, ils se sont développés à l’échelle mondiale, brassant des sommes de plus en plus importantes grâce à un mécanisme élémentaire : moins le pari est cher, plus il y a de joueurs, et donc d’argent. Et, plus il y a d’argent, moins le pari est cher. Ce cercle « vertueux » a donné au marché virtuel un poids économique « incontournable », selon le rapport de l’Iris, qui l’estime à environ 200 milliards d’euros par an. Véritable aubaine pour des organisations criminelles cherchant à blanchir leur argent. Le système est transfrontalier, aisément anonyme et brasse de fortes sommes, permettant ainsi de passer inaperçu, ou presque. La démarche est donc facile, et le risque minime. Dès lors, la tentation est grande. D’autant que la mondialisation virtuelle des paris rend la corruption moins repérable, car elle en multiplie les moyens. Avec l’essor du jeu en ligne, l’offre de compétitions a augmenté, permettant de miser sur des équipes plus vulnérables, loin des grands championnats très surveillés.

Les formules se sont également diversifiées. Le pari sur un détail du match (carton jaune, buteur…) n’a pas nécessairement d’incidence sur le résultat. Si fraude il y a, elle est donc plus discrète. Quant au « live », il permet de multiplier les mises tout au long du match, en jouant sur les cotes dont, grâce au trucage, on connaît d’avance les évolutions. Si les paris sont un moyen de blanchir de l’argent, la fraude, elle, permet de le faire fructifier. Et, à voir la récurrence des scandales, le sport est une activité humaine aisément corruptible. Pour les États, il s’agit d’un problème de taille. Non contents d’étrangler leur loto sportif national, les sites de paris en ligne favorisent une activité criminelle qui menace notamment l’intégrité de leurs compétitions sportives. Certains, comme la France en 2010, ont tenté d’assécher ce marché illégal en autorisant l’activité de quelques sites en échange d’un partenariat de contrôle. La manœuvre a un effet tout relatif, les sites illégaux concentrant toujours la majorité des consommateurs. Et, magie d’Internet, ce marché mondial et dérégulé est incontrôlable. Alarmée, la Fifa (Fédération internationale de football association) a, quant à elle, débloqué pour Interpol 20 millions d’euros afin de créer un programme de lutte internationale contre la corruption sportive.

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