Jihad et pain au chocolat

Denis Sieffert  • 11 octobre 2012 abonné·es

Un instant, un court instant, mettons-nous à la place de nos concitoyens musulmans, ceux qui pratiquent assidûment leur culte, comme ceux qui le pratiquent moins, ou pas du tout, et même ceux qui n’ont avec la religion qu’une vague et « culturelle » relation. Bref, tous ceux qui n’ont aucune envie de lever le petit doigt pour défendre ou justifier les forfaits des petites frappes qui lancent des grenades contre une supérette casher, ou tirent sur une synagogue, mais qui, pour autant, se sentent mal à l’aise quand la machine politico-médiatique s’emballe sur le thème de « l’islamisme radical » et d’un « jihadisme à la française ». Certes, la plupart des médias ont fait assaut de précautions et de prétéritions. Surtout, pas d’amalgame !

Non, pas d’amalgame, en effet, rien qu’une longue et pesante énumération. Un candidat à la présidence de l’UMP qui a « entendu parler » d’un enfant « qui s’est fait arracher son pain au chocolat par des voyous parce qu’on ne mange pas pendant le ramadan »  ; une « cellule jihadiste »  démantelée ; d’autres qui ourdissent en silence leurs prochains forfaits ; une enquête sur le « salafisme »  ; une sommation faite aux responsables musulmans de condamner les agressions antisémites ; une dénonciation décomplexée du « racisme anti-Blanc » … À quoi il faut ajouter, facultativement, quelques images d’amputations pratiquées dans le nord du Mali, au nom de la charia… Et le tableau est complet. Faisons un sort tout de suite à Jean-François Copé, l’homme qui veut se faire élire à la tête de l’UMP grâce à une improbable histoire de pain au chocolat. Il incarne ce que la politique peut donner de pire. Dans les pas de Nicolas Sarkozy et sans doute sous l’influence du même stratège, l’extrême-droitier Patrick Buisson, il a fait son petit calcul. Il y a dans notre pays, un « marché » de l’islamophobie. Un créneau. Une clientèle. Assurément, ce positionnement marketing ne doit pas trop froisser ses convictions, mais on a bien compris que c’est l’issue de sa rivalité avec François Fillon qui le soucie, bien plus que l’état de la société française. On n’en finit pas de préparer de ce côté-là la recomposition politique qui devrait permettre au Front national d’accéder le plus vite possible au pouvoir.

Les autres événements de ces derniers jours y concourent également. Car cet « islamisme à la française », que l’on semble découvrir, est-il autre chose qu’une délinquance bien de chez nous ? Ce Jérémy Louis-Sydney, abattu samedi par la brigade antigang de Strasbourg, sortait de prison. Il était, comme l’on dit, « connu des services de police » pour « trafic de stupéfiants ». Et c’est le cas de plusieurs autres personnages interpellés à Cannes et en région parisienne. Comme Mohammed Merah, le tueur de Toulouse et de Montauban, ils ont beaucoup plus à voir avec la violence sociale de nos cités qu’avec l’islam. Quant au prosélytes qui récupèrent leur désespoir, ils sont plus proches eux aussi de la voyoucratie que de l’islam. Ces jeunes, capables de lancer une grenade contre un magasin casher, sont-ils si différents de ceux qui tuent avec une sauvagerie inouïe à Échirolles ? N’est-ce pas cette violence folle qu’il faut interroger, plutôt que le wahhabisme ou le salafisme ?

Et cette violence, son origine n’est-elle pas plutôt dans la crise sociale qui frappe si durement nos banlieues ? Tout se passe comme si, ayant devant les yeux la réponse à cette question, on ne voulait pas la voir. La réponse, elle est dans l’itinéraire de ces jeunes gens. Ils ont en commun de vouloir donner un sens à leur violence. Les uns sont dans des bandes de quartier qui se livrent une guerre picrocholine et néanmoins sanglante, les autres vont là où une certaine violence est légale, dans l’armée, à l’image de Merah ou de l’un des tueurs d’Échirolles, comme jadis les repris de justice entraient dans la Légion ; d’autres encore échouent dans le banditisme, plus ou moins « grand » ; certains, enfin, se racontent qu’ils vont venger leurs « frères palestiniens » en s’attaquant aux juifs à Sarcelles ou à Argenteuil. À cet égard, combien de fois faudra-t-il dire à M. Prasquier, président du Crif, qu’en mêlant le Hamas à tout ça, comme s’il fallait à toute force souligner que l’antisémitisme vient des Palestiniens, il produit le même amalgame que les Louis-Sydney et les Merah ? Sans parler du trop classique amalgame antisémitisme-antisionisme qui resurgit jusque dans les discours du ministre de l’Intérieur. Dire cela n’empêche pas de condamner avec la dernière énergie les crimes de ces jeunes gens, et leur antisémitisme. Mais, on a nettement le sentiment que beaucoup veulent détourner notre attention de ce qui est sans aucun doute l’essentiel dans ces affaires. Il est plus facile, il est vrai, de braquer les projecteurs sur l’islamisme radical que de s’attaquer à la misère des cités.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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