La naissance d’une opposition de gauche

Le succès de la mobilisation contre le traité budgétaire européen traduit un début de divorce entre les socialistes et leur base électorale.

Michel Soudais  • 4 octobre 2012 abonné·es

Le pari était risqué. Il a néanmoins été gagné. Appeler à une manifestation nationale moins de cinq mois après le remplacement de Nicolas Sarkozy par François Hollande, alors que les électeurs sont encore enclins à laisser le nouveau pouvoir s’installer, avait tout d’une gageure. Mobiliser contre un traité dont la très grande majorité de la population ignorait jusqu’à l’existence n’était pas non plus gagné d’avance. Sans compter qu’une montée à Paris représente un coût important pour tous les militants provinciaux, qui, pour certains – les communistes principalement –, avaient déjà fait le trajet deux semaines plus tôt pour participer à la Fête de l’Humanité. En à peine un mois, les organisateurs ont néanmoins réussi ce tour de force de réunir plusieurs dizaines de milliers de personnes – le chiffre de 80 000 personnes avancé par les organisateurs n’a rien de fantaisiste pour un cortège relativement dense qui s’étirait sur plus de quatre kilomètres, entre la place de la Nation et la place d’Italie.

Dimanche 30 septembre, avant même le départ du cortège, la plupart d’entre eux avançaient déjà plusieurs motifs de satisfaction. D’abord celui d’être parvenus à rassembler pour cette manifestation contre le traité budgétaire européen et les politiques d’austérité soixante-cinq organisations politiques, syndicales et sociales. Ensuite, d’avoir permis ainsi de forcer le débat sur un traité que le gouvernement s’apprêtait à faire ratifier en catimini. Enfin, d’être arrivés à donner à ce rassemblement une dimension européenne après les grandes protestations organisées contre les politiques d’austérité les jours précédents en Espagne, au Portugal et en Grèce. « Ce jour est le jour où le peuple français entre en mouvement contre la politique d’austérité », a lancé Jean-Luc Mélenchon, coprésident du Parti de gauche, insistant sur la présence à ses côtés d’élus européens de gauche radicale, une Espagnole et une Portugaise. Les socialistes sont restés étrangement silencieux sur cette journée de contestation. Le fait que la première manifestation contre la politique conduite par le gouvernement soit organisée par la gauche, et qu’elle ait trouvé un écho au-delà des rangs du Front de gauche, est pourtant un événement inédit. Qui marque la naissance d’une opposition de gauche. Bon nombre d’éditorialistes ne s’y sont pas trompés. Cette « marche populaire… relayée par des partis de gauche, des syndicats et des associations est un vrai caillou dans les godasses de l’exécutif », écrit Jacques Camus dans la République du Centre. « François Hollande aurait bien tort de n’y voir que l’expression d’une colère passagère », renchérit Pierre Fréhel dans le Républicain Lorrain. « Le chef de l’État […], qui entendait symboliser le changement, incarne désormais, pour une partie de son électorat et même de sa base, une sorte de continuité avec le précédent gouvernement », analyse Pascal Coquis dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. Il n’est pas le seul à estimer que cette manifestation « résonne comme un premier coup de semonce ».

Il y en aura d’autres. « C’est un point de départ, nous allons continuer », a prévenu Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF. Dans un tract distribué sur le parcours, le Parti de gauche annonce un week-end de mobilisation les 6 et 7 octobre, et se donne « trois mois pour mobiliser contre l’austérité ». Car après le vote de ratification du traité, le 9 octobre à l’Assemblée nationale – jour choisi également par la CGT pour manifester en faveur de l’industrie, de l’emploi et du redressement productif –, la loi organique réclamée par ce traité, la loi de programmation des finances publiques qui le déclinera et les budgets de l’État et de la Sécurité sociale qui l’appliqueront constituent autant de rendez-vous jusqu’à la fin de l’année. « Le Collectif pour un audit citoyen de la dette, dont la composition est très large, va devenir un cadre permanent de mobilisation contre les politiques d’austérité », promet Aurélie Trouvé, la coprésidente d’Attac, qui mise aussi sur une convergence des luttes à l’échelle européenne.

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