Like someone in love, d’Abbas Kiarostami : La belle de Tokyo

Abbas Kiarostami orchestre une rencontre improbable entre deux solitudes.

Christophe Kantcheff  • 11 octobre 2012 abonné·es

Un bar, l’intérieur d’une voiture dans les rues de Tokyo la nuit puis le jour, un garage, et enfin l’appartement d’un vieux professeur : voilà tous les décors du nouveau film d’Abbas Kiarostami. Un minimalisme des lieux qui ne fait pas peur au cinéaste iranien –  Ten se concentrait dans une voiture, Shirin dans une salle de cinéma – mais qui tranche avec le film précédent, Copie conforme, tourné en Toscane. Il en va ainsi avec Abbas Kiarostami. De film en film, il continue à chercher, à se renouveler, à surprendre. Pourquoi a-t-il choisi de tourner son nouvel opus au Japon ? Peut-être pour pouvoir y filmer Rin Takanashi, sa comédienne principale, d’une beauté éclatante et juvénile ; pour capter les lumières nocturnes de la capitale – subtil spectacle quand elles défilent en reflets sur une vitre de voiture ; ou pour raconter l’histoire d’une rencontre improbable entre deux solitudes emblématiques d’une grande ville contemporaine. Ou bien est-ce pour toutes ces raisons à la fois ? La jeune Akiko et le vieux Takashi (Tadashi Okuno) sont, a priori, des personnages très dissemblables. La première, originaire de province, se prostitue pour financer ses études. Dès le début, hors champ, on entend sa voix sous pression. Au téléphone, elle est harcelée par son petit ami, qui ne sait rien des activités occultes d’Akiko, mais est maladivement jaloux. Puis, dans le bar branché où elle se trouve, le taulier l’envoie retrouver un homme chez lui. Il s’agit de Takashi. Un veuf on ne peut plus tranquille, professeur d’université à la retraite.

Rien de scabreux dans Like someone in love . Takashi reçoit Akiko avec beaucoup d’égards, comme si elle était la fille d’un ami de province venue faire du tourisme. Ils font connaissance en devisant. Et quand Akiko se met au lit dans la chambre à coucher, elle s’endort rapidement. Le sexe entre les deux est inexistant, même si la question reste en arrière-plan, ou du moins les circonstances très particulières de leur rencontre. Like someone in love est un film sur la liberté plus ou moins surveillée. La jeune Akiko est la plus contrainte : entre son petit ami qui envisage le mariage comme une prison, le manque d’argent et la prostitution. Une très belle séquence la montre en pleurs, dans le taxi l’emmenant vers Takashi, alors que sa grand-mère, venue de loin pour la voir, l’attend à la gare après lui avoir laissé plusieurs messages sur son portable. Honte ou manque de temps, ils resteront sans réponse, mais elle demandera au chauffeur de tourner autour de la place où se tient sa grand-mère pour l’entrapercevoir.

Takashi, lui, est épié par sa voisine, qui reste dans l’amertume de ne pas avoir pu l’épouser quand ils étaient jeunes. Il lui est aussi interdit, bien entendu, de révéler de quelle nature est le lien entre Akiko et lui. D’où une situation de quasi-vaudeville quand il se retrouve en présence du petit ami de celle-ci. Car il y a aussi beaucoup d’ironie dans Like someone in love. C’est ainsi que le cinéaste sème le doute. Sur le vrai visage d’Akiko, par exemple. Splendide, certes, mais un peu flou, entre la bouille aguicheuse accompagnée d’un numéro de téléphone et le portrait de la douce Japonaise que le professeur a chez lui, à laquelle elle croit ressembler. Le film interroge aussi la bonté de Takashi, désintéressée, mais non sans risque. Le vieil homme redevient fragile « comme quelqu’un d’amoureux ». Et la violence sourde qui traverse le film, et régit nos sociétés, soudain le rattrape.

Cinéma
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