Jean-Vincent Placé : « C’est un virage libéral clair et fort »

Jean-Vincent Placé, numéro deux d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), critique sévèrement le pacte de compétitivité, mais modère l’hypothèse selon laquelle son parti pourrait sortir du gouvernement.

Patrick Piro  • 15 novembre 2012 abonné·es

Il a fait l’événement en brandissant à demi-mot la menace d’une sortie des ministres écolos du gouvernement. Jean-Vincent Placé a-t-il joué les francs-tireurs ou exprime-t-il un malaise collectif ?

Vous critiquez sévèrement l’orientation du pacte de compétitivité, bien peu social et écologique. Le gouvernement est-il en train de glisser à droite ?

Jean-Vincent Placé : Jean-Marc Ayrault et François Hollande sont bien des sociaux-démocrates, je ne confonds nullement la gauche et la droite. Cependant, l’adoption de ce pacte de compétitivité représente un virage libéral clair et fort : les entreprises ne seront tenues à aucune contrepartie en échange du crédit d’impôts de 20 milliards qui leur est octroyé ; et les hausses de TVA, qui contribueront à le financer, sont inacceptables. En particulier pour le taux intermédiaire de 7 %, qui passera à 10 %. Il va directement affecter les transports en commun, la construction et la rénovation de l’habitat ou le secteur des déchets. En quoi cette mesure va-t-elle favoriser la compétitivité de nos entreprises, dans ces secteurs qui ne sont pas soumis à la concurrence des opérateurs étrangers ? Il s’agit très prosaïquement de trouver de l’argent par tous les moyens pour financer ce crédit d’impôt. Sans parler de la fiscalité écologique, annoncée pour 2016 par Matignon, avant qu’une rectification n’indique qu’il y aurait des mesures en 2014 [^2] ! J’ai la prétention de croire que mon coup de gueule n’y a pas été pour rien…

Vous vous êtes posé la question de savoir ce que les écologistes font au sein du gouvernement [^3]. Un coup de gueule pour tester la réaction des socialistes ?

Ce n’est pas un mouvement d’humeur, je n’y suis pas sujet. Cependant, je n’ai pas parlé de sortie du gouvernement. C’est François Hollande qui l’a évoqué la veille [^4]. Nous sommes au gouvernement, et nos deux ministres, Cécile Duflot et Pascal Canfin, y restent utiles. Néanmoins, il existe un moment où il faut dire jusqu’où l’on n’est pas prêt à aller. Pour moi, l’adoption quasi intégrale du rapport Gallois quatre mois après le collectif budgétaire de juillet dernier, où nous n’avons rien obtenu ou presque, est très inquiétante. La tendance que je vois dessinée par cette politique, c’est de nous conduire de plus en plus résolument vers le mur. C’est particulièrement inquiétant, et un très mauvais signal pour les politiques sociales, démocratiques et écologiques. Je m’interroge d’ailleurs sur les réactions très modérées des syndicats, et même de l’opinion publique, à travers les sondages : il y a une acceptation globale de ce plan de compétitivité libéral. Mais je compte bien réitérer mes critiques lors du passage devant le Parlement, probablement en février, des textes qui accompagneront cette décision gouvernementale.

Vous n’avez pas été suivi par vos collègues écologistes, certains se sont même clairement désolidarisés de l’hypothèse selon laquelle EELV pourrait quitter le gouvernement…

J’ai essentiellement entendu les commentaires de Jean-Philippe Magnen, porte-parole d’EELV, et de François de Rugy, président du groupe de nos députés à l’Assemblée nationale. Je leur répondrai que notre parti n’a pas pour rôle de relayer la communication du gouvernement. Par ailleurs, plusieurs élus et cadres intermédiaires, qui ne se sont pas exprimés, pensent comme moi. J’ajouterai que le sujet n’est pas tant de discuter d’une sortie du gouvernement, aujourd’hui, que de la place de l’écologie sur l’échiquier politique, et du niveau d’intérêt que nous retirons de notre participation au gouvernement. Nous allons continuer à exercer une pression politique. Et nous effectuerons notre bilan d’ici à l’été prochain.

Votre conseil fédéral, cette fin de semaine, abordera-t-il ce débat alors que la plupart des cadres d’EELV reviendront de Notre-Dame-des-Landes après avoir manifesté contre le projet d’aéroport soutenu par le gouvernement [^5] ?

Il y a une conjonction lourde, en effet. Nous verrons bien, mais je n’ai pas beaucoup d’optimisme pour la suite des événements. Tout laisse à penser, par les annonces récentes, que les choix politiques ont été verrouillés pour les deux années à venir.

[^2]: Vendredi dernier, la ministre de l’Écologie, Delphine Batho, a souhaité rassurer EELV en indiquant que le projet de budget 2014 comporterait bien des avancées en faveur de l’écologie, auxquelles s’additionneront les 3 milliards d’euros de mesures fiscales que prévoit le pacte de compétitivité à l’horizon 2016.

[^3]: Radio classique, vendredi 9 novembre au matin.

[^4]: Dans un entretien à l’hebdomadaire Marianne , le Président a jugé un départ des écologistes « possible » sans toutefois « le souhaiter ».

[^5]: Une manifestation nationale y est organisée samedi 17 novembre. Voir le site zad.nadir.org

Politique
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