À contre-courant / Euro : la crise sans fin ?

Christophe Ramaux  • 10 janvier 2013 abonné·es

Les déséquilibres commerciaux sont un véritable problème. Mais d’où viennent-ils ? Avec l’euro, les libéraux, embrassant la thèse de l’International Risk Sharing, promettaient la convergence : un pays déficitaire devant recevoir des flux financiers des pays excédentaires, ces flux devaient assurer un surcroît d’investissements et donc un rattrapage de compétitivité. C’est l’inverse qui s’est produit. Il y a eu creusement des déséquilibres, avec des excédents croissants en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Autriche, et des déficits en Grèce, au Portugal, en Espagne ou en France. L’euro est manifestement sous-évalué pour les premiers, et surévalué pour les seconds [^2].

Mais la monnaie unique interdit de résorber les déséquilibres par l’ajustement des parités. Que faire, sachant qu’un pays en déficit commercial doit nécessairement recevoir des flux financiers des pays excédentaires pour équilibrer sa balance des paiements ? La solution fédéraliste, dite « de gauche », soutient l’idée de transferts généralisés. Mais cette solution n’est pas viable : on ne peut avoir en Europe les mêmes transferts que ceux existant entre l’Île-de-France et la Creuse. Les peuples du Sud n’accepteront pas de voir leurs allocations-chômage financées par des travailleurs allemands, lesquels auront du mal à se résoudre à une telle situation. Pour réduire les déficits, les néolibéraux préconisent le choc de compétitivité. La France, avec la « désinflation compétitive », l’a fait dans les années 1980, d’où ses excédents dans les années 1990. L’Allemagne, en déficit à la fin des années 1990, a réagi dans les années 2000 par une austérité encore plus sévère, combinée à l’utilisation des pays de l’Est comme atelier de sous-traitance. Résultat : l’Allemagne a des excédents commerciaux (plus 5 % de son PIB depuis 2004) supérieurs à la Chine [^3] ! La solution libérale, celle de la guerre commerciale permanente, est économiquement stupide : tous les pays européens ne peuvent être en excédent, et l’Europe ne peut avoir pour ambition de prendre des emplois au reste du monde. L’austérité généralisée est déjà appliquée en Grèce, au Portugal et en Espagne, et le constat est accablant : la récession se transforme en dépression, le chômage explose, la chute de la consommation entraîne celle de l’investissement, ce qui compromet la compétitivité à long terme de ces pays. Patrick Artus, pourtant traditionnellement favorable au choc d’offre, le reconnaît. Dans ces pays, « il y a perte de substance économique, et la baisse des salaires réels est très contre-productive   [^4] ». Ils réduisent certes leur déficit, mais pas ou peu par les exportations, essentiellement par la baisse des importations consécutive à l’effondrement de leur demande. Le malade guérit, mais en mourant [^5].

Cependant, en maintenant l’euro, une alternative existe. L’Europe ne souffre pas d’un problème d’offre, mais de demande. La sous-utilisation des capacités de production en témoigne (21 % dans l’industrie en France en octobre 2012, contre 12,7 % en 2007). Il conviendrait donc d’engager une hausse générale des salaires et des dépenses sociales, mais plus soutenue dans les pays avec excédents afin de réduire ceux-ci par le haut. À défaut, c’est l’existence de l’euro qui sera remise en cause. 

[^2]: La zone euro référence est en équilibre à l’égard du reste du monde, mais il y a néanmoins problème puisque les pays du Sud enregistrent des déficits aussi à ce niveau.

[^3]: De 10 % au milieu des années 2000, les excédents chinois sont passés – à la suite des hausses de salaires – à moins de 5 % depuis 2009 (2 % attendus en 2012).

[^4]: Flash économie, n° 756, 5 novembre 2012.

[^5]: Voir l’article d’Henri Sterdyniak, « La politique économique est un sport de combat », Économistes atterrés, novembre 2012.

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